Une société privée de droit hongrois exploitant un site Internet d’information populaire avait publié un article de presse sur un incident de nature raciste étant intervenu à la frontière Roumaine à l’encontre d’élèves roms. L’article comportait un hyperlien renvoyant vers une vidéo d’une interview accessible sur YouTube d’un notable de la communauté rom attaquée, aux termes de laquelle celui-ci tenait des propos diffamatoires sur un parti politique hongrois, suspecté d’être à l’origine de l’incident.
Saisi par le parti politique querellé, le Tribunal hongrois compétent avait retenu que la société exploitant le site Internet d’information avait engagé sa « responsabilité objective » en diffusant des propos diffamatoires et qu’il était indifférent qu’elle soit de bonne foi.
En droit hongrois, un média peut être jugé responsable pour diffamation à raison des propos tenus par un tiers quand bien même il aurait rédigé un article objectif et impartial sur une question d’intérêt public. Dans de telles situations, les juridictions hongroises ne font pas d’analyse subjective des faits, se contentant d’observer si des propos diffamatoires ont été directement ou indirectement diffusés.
La société hongroise a légitimement saisi la Cour européenne des droits de l’homme, estimant que les juridictions internes avaient injustement restreint le droit fondamental à la liberté d’expression, résultant de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour a tout d’abord mis en avant l’importance des liens hypertextes pour le bon fonctionnement de l’Internet, car ils permettent de rendre l’information accessible en rattachant des éléments en ligne. Les liens hypertextes se distinguent des modes traditionnels de diffusion en ce qu’ils n’affichent ni ne communiquent de contenu, mais dirigent les internautes vers des contenus disponibles ailleurs ou en signalent l’existence.
La particularité en termes de responsabilité tient au fait que la personne affichant un lien hypertexte ne contrôle pas les informations vers lesquelles il renvoie, lesquelles peuvent être ultérieurement modifiées.
Au vu de ces constatations, la Cour estime que la question des responsabilité dans le cadre de l’article 10 appelle plutôt un examen individuel, au regard des éléments suivants :
– Le journaliste a-t-il approuvé le contenu litigieux ?
– Le journaliste en a-t-il repris le contenu sans l’avoir approuvé ?
– S’est il contenté de créer un hyperlien vers le contenu, sans l’avoir approuvé ni repris ?
– Savait-il ou était-il raisonnablement censé savoir que le contenu était diffamatoire ou illégal pour d’autres raisons ?
– A-t-il agi de bonne foi, en respectant la déontologie journalistique et en faisant preuve de la diligence voulue comme tout journaliste responsable ?</>
En l’espèce, la Cour constate que l’article litigieux se contentait d’indiquer qu’une interview était disponible sur YouTube et d’afficher un lien hypertexte renvoyant à celle-ci, sans commentaire et sans en reprendre le contenu. Il n’était ainsi aucunement indiqué si les propos de l’interview étaient véridiques ou non et le site n’approuvait pas non plus ces propos. Il n’était pas non plus possible pour le journaliste d’identifier immédiatement les propos comme diffamatoires, ceux-ci n’ayant alors fait l’objet d’aucun jugement.
Le droit hongrois ne permettait donc pas d’apprécier les droits de la société éditrice du site Internet garantis par l’article 10.
Or, une telle responsabilité objective peut avoir des conséquences négatives sur la circulation des informations en ligne en ce qu’elle incite les auteurs et éditeurs à ne pas afficher d’hyperliens vers des matériaux sur le contenu desquels ils ne peuvent exercer le moindre contrôle. Il peut en résulter directement ou indirectement un effet dissuasif sur la liberté d’expression sur Internet.