Non-paiement des loyers et charges en période Covid : le décret d’application de la loi du 14 novembre 2020 est paru

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

SOURCE :

 


Décret n°2020-1766 du 30 décembre 2020
relatif aux bénéficiaires des dispositions de l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et portant sur les loyers et charges locatives

 


LOI n° 2020-1379 du 14 novembre 2020
autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, article 14

 


Et notre commentaire vivaldi-chronos
de la Loi du 14 novembre 2020

 

Texte très attendu des bailleurs de locaux professionnels et commerciaux, de leur preneur, mais également de l’ensemble des acteurs de la profession, le décret d’application de la loi du 14 novembre 2020 est enfin paru (Ci-après : « le Décret »), définissant les entreprises qui :

 

« ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée » et pour lesquelles « les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires. »

 

I – Conditions d’éligibilité au dispositif de protection

 

I – 1. Première condition : Une entreprise répondant à des critères de seuil, de chiffre d’affaires et de pertes

 

Pour être éligible aux dispositions de la loi du 14 novembre 2020 (Ci-après : « la Loi »), le preneur à bail doit remplir trois critères « peu » éloignés du précédent dispositif :

 

1. Un seuil d’effectif de 250 salariés dans le groupe de société duquel le preneur dépend au sens de l’article L233-3 du Code de commerce (10 au premier dispositif, mais rapidement supprimé) ;

 

2. Un chiffre d’affaires annuel de 50 millions d’euros constaté lors du dernier exercice clos (ou un chiffre d’affaires mensuel moyen de 4.17 millions d’euros en l’absence d’exercice clos) (il était de 1 million d’euros au précédent dispositif, avant d’être supprimé) ;

 

3. Une perte de 50% de chiffre d’affaires en novembre 2020 (Ci-après : « la Perte ») constatée par rapport, soit à novembre 2019, soit au chiffre d’affaires mensuel moyen 2019 (sur option du bénéficiaire). Mais pour le calcul de la Perte, le chiffre d’affaire de novembre 2020 des commerces « fermés au public », réalisé grâce à la vente à distance (click and collect ou livraison) n’est pas pris en compte (article 1 III).

 

Les entreprises créées après le 1er juin 2019 semblent disposer d’options supplémentaires (au choix de l’exploitant) pour le calcul de la Perte qui peut ainsi être également constatée :

 

– pour les entreprises créées entre le 1er juin 2019 et le 31 janvier 2020, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 ;

 

– pour les entreprises créées entre le 1er février 2020 et le 29 février 2020, par rapport au chiffre d’affaires réalisé en février 2020 et ramené sur un mois ;

 

– pour les entreprises créées après le 1er mars 2020, par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen réalisé entre le 1er juillet 2020, ou à défaut la date de création de l’entreprise, et le 30 septembre 2020.

 

Le Décret permet donc à la plupart des preneurs à bail commercial de bénéficier du dispositif de protection.

 

I – 2. Deuxième condition : Une perte de chiffre d’affaires liée à certaines mesures de polices administratives.

 

Pour mémoire, la Loi a lié la Perte aux mesures gouvernementales prises en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, en faisant dépendre, en son article 14 I, le seuil de perte « au fait » de la mesure de police administrative.

 

Autrement dit, seule la Perte liée à toute mesure prise par le Premier ministre au cours de l’état d’urgence sanitaire (prolongée jusqu’au 16 février 2021 par la Loi) tendant à ordonner « la fermeture provisoire [ou la] règlementation d’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public (…) » générait la protection.

 

Le Décret n’avait pas à revenir sur ce point … mais en arrêtant définitivement les critères d’éligibilité au chiffre d’affaires du preneur réalisé en novembre 2020, il crée une incertitude sur la durée du dispositif de protection.

 

II – Portée et durée de protection du dispositif

 

Aux termes de l’article 14 II de la Loi, la protection du bénéficiaire du dispositif se poursuit :

 

« Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I »

 

L’article 14 IV ajoute que sont concernés par le dispositif de protection les :

 

« loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I. »

 

Une lecture stricte du texte conduit à considérer que le bénéficiaire remplissant les conditions d’éligibilité précitées, notamment la perte de chiffre d’affaires de 50 % sur le mois de novembre 2020, demeure protégé de toute action ou mesure d’exécution du bailleur tant qu’il reste affecté par « une » mesure de police administrative prise dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et jusqu’à deux mois après la fin de la mesure.

 

Toute la difficulté est que si la plupart [1] des commerces sont de nouveau ouverts au public depuis le 28 novembre 2020 (15 décembre pour les hébergements touristiques et campings), leur capacité d’accueil et horaires d’ouverture demeurent particulièrement restreints, avec notamment les :

 

– Décret n°2020-1454 du 27 novembre 2020 :

 

« 1° Les établissements dont la surface de vente est inférieure à 8 m2 ne peuvent accueillir qu’un client à la fois ;

 

2° Les autres établissements ne peuvent accueillir un nombre de clients supérieur à celui permettant de réserver à chacun une surface de 8 m2 ;

 

3° La capacité maximale d’accueil de l’établissement est affichée et visible depuis l’extérieur de celui-ci. »

 

– Décret n°2020-1582 du 14 décembre 2020 modifiant le décret du 27 novembre précité : Accueil du public entre 6h et 20h sauf exception (et 18h dans les départements où le couvre-feu a été avancé).

 

Qui devraient constituer autant de mesures de police administratives au sens de la Loi.

 

Tels qu’ils sont rédigés, le Décret et la Loi pourraient ainsi consacrer une « exemption » du preneur à bail au paiement de ses loyers et charges jusqu’au terme de la crise sanitaire, même avec une exploitation commerciale « moins » affectée par la crise sanitaire, et dans un contexte où la plupart des observateurs sont peu optimistes sur une fin de l’épidémie avant la fin de l’année… A moins que le droit prétorien ne considère que la « mesure de police mentionnée au I », termes que la Loi ne précède pourtant que d’un simple article indéfini, ne renvoie en réalité qu’à la mesure excipée par le preneur pour motiver son premier écart de paiement (la fermeture administrative) et non les mesures prises ultérieurement pour accompagner la sortie du confinement.

 

Dans tous les cas, ce pouvoir d’interprétation palliatif ne ressortant pas des pouvoirs du juge des référés, nul doute que la boite de pandore ne sera refermée qu’à la faveur d’un nouveau texte, plus intelligible.

 

III – Et le gel des procédures judiciaires ?

 

Nous vous l’indiquions dans notre commentaire de la Loi : l’article 14 IV dernier alinéa dispose que les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives « exigibles » sont suspendues « jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I ».

 

Sans revenir sur la difficulté d’identifier précisément, là encore, la fin de la durée de protection, votre newsletter espérait une détermination plus précise, par le Décret, des loyers et charges objet dudit contentieux, c’est-à-dire si ce concerne le non-paiement des loyers et charges :

 

– à compter du 17 octobre 2020 ?

 

– ou même d’une période antérieure au 17 octobre 2020 ?

 

Mais malheureusement, le Décret est demeuré silencieux sur ce point laissant au droit prétorien l’interprétation de ces dispositions.

 

IV – Les diligences à commettre pour bénéficier du dispositif

 

La protection de la Loi n’est toutefois pas automatique, bien que les diligences à commettre s’avèrent, à l’instar du premier dispositif, assez sommaires. L’article 2 du Décret impose ainsi au candidat bénéficiaire de :

 

– produire une déclaration sur l’honneur qu’il remplit lesdites conditions d’éligibilité ;

 

– et d’accompagner la déclaration de tout document comptable, fiscal ou social permettant de justifier de son effectif et du montant de son chiffre d’affaires de comparaison.

 

La perte de chiffre d’affaires doit également être justifiée, mais elle est établie « sur la base d’une estimation ».

 

Pour les entreprises de moins de cinquante salariés bénéficiaires à l’aide financière du fonds de solidarité, leur situation peut être justifiée par une simple présentation de l’accusé-réception du dépôt de leur demande d’éligibilité au fonds de solidarité au titre du mois de novembre 2020, accompagné de tout document comptable ou fiscal permettant de justifier qu’elles ne dépassent pas le niveau de chiffre d’affaires mentionné au 2° du I de l’article 1er.

 

[1] Pour les activités admises ou non à recevoir du public, cf notamment la synthèse du Gouvernement : « Commerces et établissements : ce qui est ouvert et ce qui reste fermé depuis le déconfinement »

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Vivaldi Avocats
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