L’information des créanciers inscrits en cas d’opérations sur le fonds de commerce :

Frédéric VAUVILLÉ
Frédéric VAUVILLÉ

SOURCE : Cass. civ. 3ème, 25 octobre 2018, n° de pourvoi: 17-16828

 

La cession d’entreprise impose en principe au rédacteur de s’assurer des inscriptions qui peuvent grever le fonds : la sécurité juridique du tiers acquéreur l’impose ; si on les négligeait, les créanciers disposant d’un droit de suite pourraient poursuivre le cessionnaire. Reste évidemment à « taper à la bonne porte » pour en faire le recensement.

 

La question se pose dans les mêmes termes lorsqu’il s’agit, non pas de céder le fonds mais de résilier le bail. On sait que l’article L 143-2 du code de commerce (qui remonte à la loi de 1909) prévoit alors que « le propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l’immeuble dans lequel s’exploite un fonds de commerce grevé d’inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, au domicile élu par eux dans leurs inscriptions ». Le jugement ne peut alors intervenir qu’après un mois écoulé depuis la notification.

 

La même contrainte est prévue en cas de résiliation amiable du bail : elle « ne devient définitive qu’un mois après la notification qui en a été faite aux créanciers inscrits, aux domiciles élus ».

 

Cession du fonds ou résiliation du bail, il faut donc identifier les créanciers inscrits. La question peut être délicate s’il existe plusieurs fonds. Quels sont les créanciers qui doivent recevoir la notification ?

 

La Cour de cassation vient de répondre à la question à propos d’un avocat ayant assigné le locataire aux fins de constater le jeu de la clause résolutoire (Cass. civ. 3ème, 25 octobre 2018, n° de pourvoi: 17-16828). Une ordonnance de référé du 6 décembre 2005 constatera l’acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat de bail commercial mais l’assignation ne lui ayant pas été dénoncée, une société, créancière du locataire et titulaire d’un nantissement inscrit sur le fonds de commerce, assignera en réparation de son préjudice le bailleur, qui appellera en garantie l’huissier de justice et l’avocat.

 

Au visa de  l’article L. 143-2 du code de commerce, ensemble les articles 4 et 1382, devenu 1240, du code civil, il sera d’abord jugé « que, pour rejeter la demande d’indemnisation de la société, l’arrêt retient que le préjudice de cette société, qui consiste en une perte de chance de se faire payer sa créance sur le prix de vente du fonds de commerce, n’existe que si le fonds avait une valeur patrimoniale et que celle-ci ne justifie pas d’une valeur du fonds au 4 novembre 2005, date de l’assignation en résiliation du bail ; qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que, si l’assignation en résiliation du bail lui avait été dénoncée, la société aurait pu payer l’arriéré de loyers à la date du commandement de payer et aurait ainsi pu préserver le droit au bail et, par voie de conséquence, le fonds de commerce, lequel constituait son gage, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ».

 

Il sera ensuite jugé au visa de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 que « l’avocat, investi d’un devoir de compétence, est tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client ». La Cour de cassation en déduira que, « pour rejeter la demande en garantie formée par les bailleurs à l’encontre de l’avocat, l’arrêt retient que la mission confiée à celui-ci ne consistait qu’à rédiger l’assignation en vue de la résiliation du bail et que l’huissier de justice, à qui incombait de signifier l’assignation aux créanciers inscrits, doit être tenu pour responsable de l’erreur ayant consisté à requérir un état des inscriptions sur le fonds de la société auprès du tribunal de grande instance du lieu du siège de la société et non auprès de celui du lieu d’exploitation du fonds de commerce ; en statuant ainsi, alors qu’il incombe à l’avocat, qui représente les bailleurs lors de l’instance en résiliation du bail dont il a rédigé l’acte introductif, de veiller à ce que l’état des inscriptions sur le fonds de commerce émane du greffe du tribunal du lieu d’exploitation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

 

Le notaire retiendra de l’arrêt que les créanciers qui doivent être informés sont donc ceux qui sont inscrits sur le fonds qui comprend le bail dont la résiliation est envisagée (ou ceux inscrits sur le fonds qui se trouve cédé) ; il faut donc se rapprocher du greffe du lieu d’exploitation et non pas, s’il s’agit d’une personne morale, de celui du siège social.

 

Le rappel relève de l’évidence : seuls les créanciers inscrits sur le fonds cédé ou sur le fonds comprenant le droit au bail sont concernés par la cession ou la résiliation ; eux seuls doivent être informés ; il en résulte que les créanciers inscrits sur un autre fonds, s’agirait-il d’un fonds principal, n’ont pas à être pris en compte.

 

Au-delà de cette précision de bon sens, l’arrêt présente l’intérêt de rappeler la sanction du défaut de notification de l’assignation : l’information des créanciers inscrits est destinée à empêcher la résiliation du bail en leur permettant de payer l’arriéré de loyers et de sauver ainsi le fonds. S’ils ne sont pas informés, ils ont perdu une chance de sauver le fonds, perte de chance qu’il faudra évidemment quantifier à partir des circonstances de fait et dont le montant dépendra notamment de la valeur du fonds (sur cette possibilité classique des créanciers inscrits de payer les loyers, sachant qu’ils seront subrogés aux droits du bailleur, voir Lamy Droit commercial n° 813).

 

Mais quid s’il s’agit d’une résiliation amiable ? Quelle sanction pour le notaire qui aurait « loupé » la notification aux créanciers inscrits ?

 

Dans l’hypothèse d’une résiliation amiable, force est d’admettre que les créanciers inscrits informés de la résiliation ne disposent d’aucun moyen juridique pour empêcher cette résiliation. La notification présente alors seulement l’intérêt pour les créanciers inscrits de faire valoir leurs droits sur une éventuelle indemnité de résiliation, sachant que selon un arrêt remarqué de la Cour de cassation du 6 avril 2005, le créancier titulaire d’un nantissement sur un fonds de commerce ne bénéfice d’aucun droit de préférence ou de suite sur l’indemnité de résiliation du bail grâce auquel est exploité le fonds de commerce (Bull. civ. III, n° 87 ; D 2005, p. 1367 note S. Piedelièvre).

 

Résultat : s’il n’y pas d’indemnité, il n’y a pas de préjudice ! Et si l’indemnité, comme c’est souvent le cas, lorsque le locataire est en difficulté, est compensée avec des loyers ? A nouveau, le créancier inscrit ne pourrait faire valoir aucun droit ; comment critiquer cette compensation avec les loyers qui n’a rien de frauduleuse puisqu’elle permet le paiement du bailleur, créancier privilégié, alors que le créancier inscrit ne dispose d’aucun droit de préférence sur l’indemnité de résiliation ? c’est une illustration classique de faute sans préjudice et donc sans responsabilité (v. nos obs. in Rép. Defrénois mars 2019 !

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