Les parties à un bail commercial peuvent décider, lorsqu’elles ont la qualité de commerçantes, de déroger aux règles classiques de compétence territoriale et de donner compétence à un autre juge que celui dans le ressort duquel se situe l’immeuble en question, par le biais d’une clause très apparente.
CA Paris, 24 octobre 2024, n° 24/11779
CA Paris, 24 octobre 2024, n° 24/11828
I –
Dans ces deux arrêts rendus par la Cour d’appel de Paris en octobre 2024, a été rappelé le principe selon lequel une clause attributive de juridiction écrite de manière apparente au sein d’un contrat de bail commercial obligeait le juge saisi par les parties à trancher le litige.
En l’espèce, des propriétaires de locaux commerciaux agissaient en référé contre leurs preneurs à bail dans le but que soit constatée l’acquisition de la clause résolutoire expressément prévue aux baux, notamment pour faute de paiement des loyers, afin que soit ordonnée l’expulsion desdits locataires.
Bien que les locaux commerciaux en question se situaient en dehors de la capitale, une clause attributive de juridiction prévue au sein des baux prévoyait la compétence du tribunal judiciaire de Paris et non celle du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe les immeubles concernés.
Le président du tribunal judiciaire de Paris se déclarait néanmoins incompétent au profit de cette dernière, considérant que la règle prévoyant que le juge territorialement compétent pour connaitre des contestations relatives au statut des baux commerciaux est celui du lieu de situation de l’immeuble et que cette règle était d’ordre public, rendant donc toute clause contraire réputée non écrite.
Pour autant, la Cour d’appel de Paris n’est pas du même avis et considère qu’en l’espèce, les bailleurs comme les preneurs, ayant la qualité de commerçants, ont la possibilité de déroger à cette règle de manière conventionnelle, en prévoyant l’insertion d’une clause attributive de juridiction, de manière apparente.
II –
Pour la résolution de tout litige en toute matière et ce, dans un souci de sécurité juridique, le législateur a expressément prévu une compétence matérielle et territoriale afin que les justiciables aient connaissance, de manière éclairée, de la juridiction à saisir en vue de la résolution dudit litige.
L’article R145-23 du Code de commerce dispose :
« Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.
Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent.
La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble. »
Pour rappel, l’article L121-1 du Code de commerce dispose :
« Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle. »
L’article 48 du Code de procédure civile affirme :
« Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée. »
Le législateur offre ainsi la possibilité à un certain type de justiciables, ceux ayant la qualité de commerçants, de déroger aux règles de compétence territoriale par le biais d’une clause attributive de juridiction. Pour rappel, seules les règles de compétence territoriale sont concernées, les clauses modifiant la compétence matérielle des juridictions étant interdites.
Cette dérogation n’est possible qu’entre commerçants et à condition que ladite clause ait été spécifiée de manière très apparente au sein du contrat litigieux. Cette dérogation est possible car on considère classiquement qu’une partie commerçante à un contrat est une partie forte et juridiquement éclairée, en tout état de cause plus qu’une partie non commerçante.
C’est en s’appuyant sur cette dérogation que la Cour d’appel a cassé la décision d’incompétence rendue par le président du tribunal judiciaire de Paris, en sa qualité de juge des référés, en affirmant que l’article R145-23 du Code de commerce pouvait ainsi être écarté conventionnellement, sur le fondement de l’article 48 du Code de procédure civile.
Il est néanmoins nécessaire de rappeler que la signature d’un bail commercial par un non-commerçant pour y exercer une activité commerciale n’est pas de nature à permettre au signataire d’acquérir la qualité de commerçant[1].
III –
La question se pose ainsi de savoir quel texte prévaut sur l’autre, entre d’une part l’article L145-23 du Code de commerce (texte spécifique en matière de baux commerciaux) et l’article 48 du Code de procédure civile (texte général en matière de compétence territoriale).
Par plusieurs décisions récentes[2], le tribunal judiciaire de Paris avait décidé à plusieurs reprises, de s’écarter de la solution jusqu’à présent retenue par la Cour d’appel de Paris, laquelle validait le principe des clauses dérogeant aux règles de compétence territoriale[3]. Il considérait en effet que le juge du lieu de l’immeuble était celui qui était le plus adapté à s’emparer du litige avec efficacité, dans un souci d’exigence de proximité.
La Cour d’appel de Paris rejette dans une telle hypothèse le principe de proximité et/ou celui de proportionnalité et reste ainsi fidèle à sa position fondée sur le texte de l’article 48 du Code de procédure civile, prévoyant expressément un droit d’option pour les parties à un contrat ayant la qualité de commerçante.
Les juges de la Cour d’appel de Paris considèrent de ce fait qu’il se déduit de la combinaison des textes susvisés que les parties contractant en qualité de commerçantes au sein d’un bail commercial peuvent prévoir, par une clause spécifiée de façon très apparente dans l’acte, de déroger à la règle pourtant prévue à l’article R145-23 du Code de commerce.
La Cour d’appel de Paris fait donc le choix de faire prévaloir les dispositions du Code de procédure civile sur celles prévues par le Code de commerce. A notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur cette question, mais cela ne saurait tarder.
[1] Civ. 3ème, 7 juillet 2015, n°16-15-012
[2] TJ Paris, 21 juin 2024, n°23/56868 et n°23/55694
[3] CA Paris, 27 juin 2001, n°2001/6069, CA Paris, 4 juin 2009, n° 08/18149, CA Paris, 25 novembre 2016, n°16/08557, CA Paris, 26 juin 2020, n°19/19051
Thomas CHINAGLIA
Avocat – Barreau de Lille