Régularisation excessive de charges et nullité du bail pour vice de consentement

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

Source : 3ème civ, 3 décembre 2020, n°19-23.397, Inédit

 

L’arrêt est certes inédit, puisqu’il ne fait que rappeler le droit prétorien relatif à la nullité par voie d’exception, mais les faits de cette affaire portée à la censure de la Cour de cassation ne manqueront pas de retenir l’attention de certains bailleurs tentés, pour rendre leur offre de location attractive, de fixer une provision pour charges bien en deçà du montant réel des charges.

 

Une société avait ainsi pris à bail commercial, en 2009, des locaux pour y exploiter une activité de stockage informatique, pour un loyer de 45.000 € ht /an. Le bail, conclu « type investisseur », fixait à titre indicatif un montant de provisions pour charges de 24.500€ /an.

 

Le Preneur avait sollicité en 2011 la régularisation des charges depuis son entrée en jouissance, et recevait ainsi en 2011/2012 du bailleur des régularisations portant le montant des charges 2010 à 50.000 €, celles de 2011 à 59.000 €, et celles de 2012 à 52.000 € environ. Cette difficulté semble avoir entrainé les parties dans un contentieux de résiliation du bail, le bailleur se fondant sur l’inexécution des causes d’un commandement du 23 octobre 2013, et le preneur, par conclusion du 29 mars 2016, excipant de la nullité du bail pour vice de consentement (erreur sur la qualité substantielle de la chose louée), à laquelle le bailleur s’était opposé en invoquant la prescription quinquennale de l’action.

 

Le premier juge avait rejeté l’exception de prescription soulevée par le bailleur, considérant que le point de départ du délai n’avait pu prendre effet avant la date de la demande de régularisation de charges formulée par le preneur, et admis au regard du montant des régularisations, que le bailleur « avait commis une faute contractuelle en les sous-estimant très largement et en s’abstenant d’informer loyalement et avec diligence son cocontractant de leur croissance exponentielle, celle-ci étant hors de proportion avec une augmentation progressive prévisible » évaluée à 5% l’an.

 

La décision de première instance retenait toutefois que l’exception de nullité (soulevée par le preneur) ne pouvait jouer « que pour faire échec à une demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas été exécuté » en contradiction avec le droit prétorien (1ère civ, 4 mai 2012, n°10-25.558).

 

La décision a été confirmée par la Cour d’appel de MONTPELLIER qui, bien qu’en rappelant que le bailleur, malgré la valeur « indicative » de la provision pour charge, devait fixer loyalement le montant de la provision pour charges lors de la conclusion du contrat, a considéré que l’exception de nullité ne pouvait être soulevée dès lors que le contrat était en cours d’exécution.

 

L’arrêt est ainsi logiquement cassé au visa de l’article 1304 (ancien) du Code civil, et les parties renvoyées devant la Cour d’appel de Nîmes.

 

La provision pour charge doit a minima, correspondre à la réalité des charges, ce d’autant plus depuis la consécration de l’obligation de bonne foi dans les pourparlers contractuels depuis la réforme du Code civil en vigueur au 1er octobre 2016.

 

Dans l’esprit du candidat preneur, loyers et charges forment en effet un tout économique conditionnant la prise à bail. Par conséquent, la sous-évaluation notable des provisions, même si le montant est dit « indicatif », ne permet pas de considérer que le bail a été conclu et négocié de bonne foi, l’exposant à la nullité.

 

La prudence détournera donc le bailleur de cette voie

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