Source : Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 12/04/2019, 410042
Les faits
La Société de distribution Saint-Maximoise (SDSM), qui exploite à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var) une grande surface, a déduit les sommes de 124 803 euros et 10 000 euros au titre des exercices clos en 2009 et 2010, correspondant à des vols de billets de banque livrés par une société de transport de fonds et destinés à alimenter le distributeur automatique attenant au supermarché.
A l’issue de la vérification de comptabilité dont la société a fait l’objet, l’administration fiscale a remis en cause la déductibilité de ces sommes au motif que des carences dans l’organisation de la société et l’absence de dispositif de contrôle avaient été directement ou indirectement à l’origine de ces vols.
La société a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie ainsi que des pénalités correspondantes et des amendes prévues à l’article 1759 du Code général des impôts. Par un jugement du 10 avril 2015, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.
Par un arrêt du 23 février 2017, la cour administrative d’appel de Marseille, sur recours du ministre des finances et des comptes publics, a annulé l’article 1er de ce jugement prononçant la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelle à cet impôt auxquelles la société avait été assujettie, remis ces impositions à la charge de la société et rejeté le surplus des conclusions du ministre.
La société SDSM se pourvoit en cassation.
L’état de la réglementation en matière de déduction des fonds détournés
Les incidences fiscales des détournements sont différentes selon la qualité de leur auteur :
– les détournements commis par les associés et dirigeants (associés ou non) ne sont pas, en principe, déductibles ;
– ceux commis par des salariés qui n’ont pas la qualité de mandataire social sont déductibles lorsqu’ils sont réalisés à l’insu des dirigeants. Il en va de même des détournements commis par des tiers.
Le Conseil d’État a jugé à cet égard que la circonstance que les vols et détournements divers aient été commis au cours d’un exercice ne fait pas obstacle à ce que le montant de la perte correspondante soit déduit des résultats d’un exercice ultérieur, dès lors que c’est seulement au cours de ce dernier exercice que les vols et détournements ont été découverts[1].
Par une décision du 5 octobre 2007, le Conseil d’Etat a précisé la notion de détournements commis à l’insu des dirigeants qui vise les situations dans lesquelles ces derniers n’ont pas eu effectivement connaissance des détournements ou n’ont pas concouru, par leur comportement délibéré ou par leur carence manifeste dans l’organisation de l’entreprise, notamment dans le domaine du contrôle interne, à de tels détournements[2].
La Haute Juridiction a ainsi introduit une restriction à la déductibilité des détournements de fonds commis par les salariés en permettant à l’administration d’apporter la preuve que les dirigeants ont permis directement ou indirectement leur réalisation par leur négligence.
La décision de la cour administrative d’appel de Marseille
Avec sa décision du 23 février 2017, la CAA de Marseille avait étendu aux cas de détournements commis par des tiers la jurisprudence précitée du CE du 5 octobre 2007.
La décision du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat rappelle que :
« En cas de détournements de fonds commis au détriment d’une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société. Il en va ainsi, en particulier, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers. En revanche, ne sont pas déductibles les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que ceux, commis par un salarié de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l’organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l’intérêt de la société. »
En l’espèce, la CAA pour juger que les sommes détournées au détriment de la société n’étaient pas déductibles de ses bénéfices, a recherché si le comportement délibéré des dirigeants, associés ou des personnes investies de la qualité de mandataire social, ou leur carence manifeste dans l’organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôles, avaient été à l’origine, directe ou indirecte, de ces détournements.
La CAA a jugé que « l’attentisme et l’abstention inexplicables dont la société a fait preuve face aux détournements dont elle a été victime faisaient (…) obstacle à ce que ces vols puissent être regardés comme faisant partie des risques normaux de la vie de l’entreprise dans le cadre d’une gestion commerciale normale ».
Dans les faits, les détournements portaient sur des billets de banque livrés par un transporteur de fonds et destinés à l’alimentation d’un distributeur automatique situé dans l’enceinte de la société. Un an et demi après la détection des détournements dont elle a été victime, la société a mis en place une organisation tendant à éviter leur réitération et a attendu trois ans pour porter plainte.
Toutefois, le Conseil d’Etat considère qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’était ni établi ni même allégué que les détournements litigieux auraient été commis par un salarié de la société, la cour a commis une erreur de droit.
Le Conseil d’Etat refuse donc de transposer aux cas de détournements de fonds commis par des personnes extérieures à l’entreprise sa jurisprudence concernant ceux commis par des salariés.
[1] CE, 30 septembre 1957, n° 76733
[2] CE, 5 octobre 2007, n° 291049