La Haute Juridiction a affirmé le principe selon lequel le preneur à bail commercial ne peut bénéficier de son droit de préférence accordé à l’article L.145-46-1 du Code de commerce lorsque la vente de l’immeuble loué objet du bail commercial s’inscrit dans le cadre d’une cession globale d’un immeuble comprenant un seul local commercial.
Civ. 3ème, 19 juin 2025, n° 23-17.604
I –
Le principe est posé à l’article L.145-46-1 du Code de commerce, en cas de vente du local loué par le bailleur, le preneur à bail a un droit de préférence en vue d’acquérir ledit local commercial. Néanmoins, ce principe connait plusieurs exceptions et notamment en cas de cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux.
En l’espèce, le propriétaire avait vendu l’ensemble immobilier, dans lequel il n’y avait qu’un seul locataire commerçant. Ce dernier soutenait au soutien de ses intérêts que le principe de la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ne pouvait s’appliquer lorsqu’il n’y avait qu’un seul local commercial au sein dudit immeuble.
Cependant, la Cour de cassation affirme clairement que le droit de préférence prévu à l’article susvisé demeure écarté dans un tel cas de figure, c’est-à-dire en cas de cession globale d’un immeuble dont une partie seulement est louée. Le fait qu’un ou plusieurs locaux commerciaux soient loués n’est pas à prendre en compte pour savoir si le droit de préférence du preneur peut être écarté ou non.
Pour justifier sa position, la Cour de cassation ajoute que le droit de préférence prévu à l’article L.145-46-1 du Code de commerce ne confère pas au preneur à bail un droit d’acquérir en priorité au-delà de l’assiette du bail qui lui a été préalablement consentie au titre du bail commercial. Ce qui est logique.
Si cela avait été rendu possible par une analyse extensive du texte susvisé par la Cour de cassation, le propriétaire se retrouverait dans une situation délicate dans la mesure où il se verrait imposer de diviser son bien immobilier en vue de le céder à des personnes distinctes[1].
Le droit de propriété permet de conférer au propriété le droit le plus absolu de vendre en une seule fois, à un seul acquéreur, tout ou partie de sa propriété. De ce fait, dans la mesure où la vente n’est pas limitée à l’assiette des locaux loués issus du bail commercial, le preneur ne dispose en réalité d’aucun droit de préemption.
II –
Pour rappel, l’article L.145-46-1 du Code de commerce dispose :
« Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d’acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur, d’un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. […] »
Ce texte instaure donc un droit de préférence au profit du locataire titulaire d’un bail commercial. Lorsque le bailleur envisage de vendre les locaux loués, il est tenu d’en informer le preneur en lui proposant l’acquisition du bien aux mêmes conditions que celles prévues pour la vente.
Le locataire dispose alors d’un délai d’un mois pour manifester son intention d’acheter, puis, en cas d’acceptation, d’un délai de deux mois pour réaliser la vente. Ce mécanisme vise à protéger la stabilité de l’exploitation commerciale en permettant au locataire de devenir propriétaire du local qu’il occupe.
Néanmoins, ce droit n’est pas absolu, comme c’est le cas dans l’arrêt commenté.
Dans son pourvoi, le preneur soutenait que les parties de l’immeuble non comprises dans le bail commercial ne constituaient en réalité que des dépendances accessoires au local loué, s’agissant en réalité d’un terrain affecté à un usage de stationnement.
Dans une affaire similaire, le preneur à bail arguait cette fois-ci que les biens exclus du périmètre du bail commercial mais inclus dans la vente globale, à savoir des caves et des boxes, présentaient eux aussi un caractère accessoire et devaient ainsi être rattachés aux locaux commerciaux loués.
L’un et l’autre soutenaient donc que la vente portait en substance sur le bien loué lui-même, les éléments annexes, du fait de leur caractère accessoire, ne pouvant suffire à exclure le droit de préférence conféré au preneur par l’article L.145-46-1 du Code de commerce. Selon eux, l’accessoire devait suivre le principal.
Une argumentation semblable avait été développée dans une précédente affaire, où la différence entre l’objet du bail et celui de la vente résidait dans la présence de combles inaccessibles. Le preneur faisait alors valoir qu’il ne s’agissait là que d’un élément indivisible et négligeable des locaux loués. La Cour de cassation n’avait cependant pas tranché, le moyen soulevé étant entaché de faits et de droit[2].
Dans la décision commentée, la Cour de cassation adopté une position claire : elle refuse de s’engager dans une analyse du caractère principal ou accessoire des parties non louées comprises dans la vente. Elle juge dès lors que les locaux donnés à bail ne constituent qu’une fraction des biens cédés, le droit de préférence du preneur ne trouve donc vocation à s’appliquer.
En cas de cession globale, il n’y a donc pas lieu de distinguer entre parties principales, accessoires, secondaires ou indivisibles de l’ensemble immobilier cédé.
[1] Civ. 3e, 9 avr. 2014, n° 13-13.949
[2] Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 20-11.893