Source : Cass. Com. 17 novembre 2015, n°14-17.607, F – P + B
Sur le fondement de l’article 6 § 1 de la CESDH, la Cour de Cassation censure (enfin !) un arrêt d’appel au motif qu’il ne ressortait pas des termes de l’arrêt que le dirigeant poursuivi en sanctions, à l’initiative du ministère public, avait été rendu destinataires des conclusions dont celui-ci faisait état.
Dit autrement, le Ministère Public est, dans le cadre d’une action en sanctions, une partie comme une autre, soumis aux principes directeurs du procès civil, au premier rang desquels le principe du respect du contradictoire. Il en résulte qu’il doit communiquer ses écritures au défendeur ses écritures, de manière à ce que ce dernier puisse utilement y apporter la contradiction.
Dans son arrêt, la Cour de Cassation rappelle que l’article R653-2 du Code de Commerce dispose :
« Pour l’application de l’article L. 653-7 (action en sanctions personnelles type faillite personnelle ou interdiction de gérer), le tribunal est saisi, selon le cas, par voie d’assignation ou dans les formes et selon la procédure prévues à l’article R. 631-4. La mise en demeure faite au mandataire de justice d’engager l’action en sanction est délivrée par au moins deux créanciers contrôleurs. Leur action n’est recevable que si cette mise en demeure, adressée au mandataire de justice par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, est restée infructueuse pendant deux mois à compter de la réception de la mise en demeure. »
L’article R631-4 dispose quant à lui :
« Lorsque le ministère public demande l’ouverture de la procédure par requête, celle-ci indique les faits de nature à motiver cette demande. Le président du tribunal, par les soins du greffier, fait convoquer le débiteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à comparaître dans le délai qu’il fixe.
A cette convocation est jointe la requête du ministère public »
L’articulation de ces deux textes signifie donc que lorsque le Ministère Public est à l’origine des poursuites, sa requête saisissant le tribunal est nécessairement communiquée au débiteur, jointe à la convocation devant le tribunal.
Dans le cas d’espèce, la Cour de Cassation a noté que l’arrêt objet du pourvoi mentionnait que l’affaire avait été communiquée au ministère public, lequel avait été représenté par un magistrat à l’audience, lequel se référait, dans ses visas, à des conclusions du ministère public.
Et la Cour de Cassation de conclure qu’il ne ressortait pas du même arrêt que le gérant avait effectivement reçu communication des conclusions écrites du ministère public, qui intervenait comme partie principale, et corrélativement avait pu y répondre utilement.
Cet arrêt est particulièrement le bienvenu, même si la formulation retenue par la Cour de Cassation limite sa portée, à tords selon nous.
En effet, la Cour de Cassation retient que le Ministère Public est tenu de respecter le contradictoire, lorsqu’il intervient comme partie principale.
Cela signifie-t’il, a contrario, qu’il n’y est pas tenu lorsqu’il n’est pas à l’origine de la demande en sanctions ? Certes pas.
Toute la difficulté est qu’en matière de sanctions, lorsque, et c’est le cas de très loin le plus fréquent, c’est le mandataire judiciaire qui initie la procédure, le ministère public se contente le plus souvent, comme d’ailleurs en matière correctionnelle par exemple, de réquisitions orales à l’audience de plaidoirie.
Le procédé n’est pas sans poser de difficultés, d’autant plus que le procureur prend la parole une fois la plaidoirie de la défense achevée.
De sorte qu’en pratique, le dirigeant poursuivi prend connaissance des arguments développés par le Ministère Public à l’audience, et ne dispose, au mieux si le Tribunal accepte qu’il reprenne la parole, que des quelques minutes pour improviser une réponse sans pouvoir verser la moindre pièce justificative.
Dit autrement, en matière de sanctions, le principe du contradictoire n’est pas respecté par le Ministère Public.
Le présent arrêt est donc une étape importante du retour du respect du contradictoire dans les chambres de sanctions des tribunaux de commerce.
Mais il ne faut pas qu’elle reste la dernière : il convient désormais que la Cour de Cassation affirme la nécessité d’un contradictoire effectif, même lorsque le Ministère Public n’est pas le demandeur initial aux sanctions.
Il en va du respect d’un droit fondamental : le droit à un procès équitable.
Etienne CHARBONNEL
Vivaldi-Avocats