Le domicile familial du dirigeant peut-il être confisqué en cas d’abus de biens sociaux ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Toutes mesures de sanction portant atteinte (i) au droit de propriété ou (ii) au droit à vie privée et familiale doivent être proportionnées. La question en l’espèce est de déterminer si la confiscation du domicile familial du dirigeant, auteur d’abus de biens sociaux, est une sanction proportionnée au regard du manquement commis.

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 avril 2023, 22-82.994, Publié au bulletin

Dans un arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au Bulletin, la Cour de cassation intervient en matière de contrôle de proportionné d’une sanction relative à un abus de bien social.

I – La peine complémentaire de confiscation

Conformément à l’article L131-21 du Code pénal, les juges peuvent, à titre de peine complémentaire pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an, confisquer des biens  immobiliers appartenant au dirigeant auteur d’abus de biens sociaux dès lors :

  • Qu’ils ont servi à commettre l’infraction, ou étaient destinés à la commettre,
  • Qu’ils sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction.

Si une telle confiscation n’est pas possible, la confiscation peut se faire en valeur, en se déplaçant sur tous les biens du condamnés.. C’est l’objet de notre arrêt.

II – Les faits et la procédure

Au cas d’espèce, un dirigeant est condamné lourdement en première instance pour abus de bien social à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 50.000 euros d’amende, 5 ans d’interdiction de gérer et d’exercer une fonction publique, ou d’éligibilité. Il interjette appel.

En cause d’appel, les juges empirent les sanctions, et décident de confisquer un immeuble… qui s’avère être le domicile familial du dirigeant, ou résidait sa fille majeure mais encore étudiante.

Ils considèrent que « le produit des infractions dont le prévenu a seul bénéficié est supérieur à la valeur de l’immeuble saisi, que les faits d’abus de bien sociaux ont été commis dans le cadre d’une activité financée par les deniers publics par deux dirigeants sociaux, l’un apportant son aide et son assistance à l’autre, et ce sur des sommes d’importance ».

Ces comportements ont selon eux porté une atteinte grave à l’ordre public économique, puisque ils ont conduit au placement en redressement judiciaire d’une société de services d’aide à la personne qui employait +600 personnes, dont l’activité était financée à 90 % par des fonds publics provenant du conseil départemental, et dont le passif déclaré était essentiellement constitué de dettes fiscales et sociales.

Les faits reprochés relevaient d’un système organisé au détriment de cette société, les prévenus avaient indirectement participé au pillage de la trésorerie de l’entreprise, jouissant d’un train de vie fastueux tandis que les dettes de la société s’accumulaient.

III –  L’intervention de la Cour de Cassation

Le pourvoi en cassation porte sur deux sanctions, et notamment celle qui nous intéresse : la confiscation de l’immeuble, domicile du dirigeant.

Se pose nécessairement la question du contrôle de proportionnalité d’une telle sanction.

La Cour de cassation est saisie sur deux fondements distincts :

III.1 – L’atteinte disproportionnée au droit de propriété

La Haute Cour rappelle en premier lieu qu’il résulte des articles 132-1 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale qu’en matière correctionnelle, les peines doivent être motivées en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, sauf s’il s’agit de la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction.

Elle rappelle ensuite que cette  dérogation au principe de motivation des peines est d’interprétation stricte donc, la confiscation du produit de l’infraction, lorsqu’elle est ordonnée en valeur, doit obligatoirement être motivée.

C’est le point important de cet arrêt : la confiscation en valeur, même portant sur le produit du délit n’échappe pas à l’obligation, comme pour toutes peines correctionnelles, à l’obligation pour les juges de la motiver de manière circonstanciée au regard des éléments repris à l’article 132-1 précité.

Reprenant les arguments des juges du second degré, la Cour de Cassation opère un contrôle stricte, et considère que ses confrères ont correctement justifié leur décision sans méconnaitre les textes. La sanction du dirigeant est justifiée par la nécessité de :

« sanctionner le comportement d’un prévenu qui n’a pas pris conscience de la gravité de ses actes tout en tenant compte de sa situation de délinquant primaire en vue de le dissuader de réitérer des comportements délictueux par le risque d’un emprisonnement tout en favorisant son amendement et sa réinsertion ».

La Cour considère en effet :

« qu’il résulte des énonciations de l’arrêt que les juges se sont expliqués sur les éléments relatifs à la gravité des faits, à la personnalité de leur auteur et à sa situation personnelle pour fonder la condamnation du prévenu à la peine complémentaire de confiscation en valeur du produit de l’infraction »

D’une part, l’abus de biens sociaux a conduit au redressement judiciaire d’une société dont la trésorerie a été pillée, et d’autre part, le produit de l’infraction excédait la valeur de l’immeuble, ce qui justifiait selon les juges, la confiscation du domicile du dirigeant.

La confiscation de l’immeuble est donc à titre jugée comme étant régulière pour avoir été suffisamment motivée.

  • III.2 – L’atteinte disproportionnée au droit à une vie privée et familiale.

Le second angle d’attaque du pourvoi visait le droit au respect à la vie privée et familiale du propriétaire de l’immeuble confisqué ce qui a amené, la Haute Cour a contrôler la proportionnalité de cette atteinte. 

Elle explique que :

« Dès lors que l’illicéité de l’origine du bien confisqué est indifférente à l’éventualité d’une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, qui dépend de l’usage qui en est fait, il ne saurait être dérogé à cette obligation lorsque le bien confisqué est le produit, en nature ou en valeur, de l’infraction poursuivie.

18. Il en résulte que le juge qui prononce une peine de confiscation en valeur à titre de produit de l’infraction doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, au regard de la situation personnelle de l’intéressé et de la gravité concrète des faits, lorsque cette garantie est invoquée ».

Appliqué au cas d’espèce, les juges suprêmes considèrent que :

  • la résidence de la fille majeure du prévenu à son domicile est inopérante en elle-même à démontrer l’atteinte à la vie privée et familiale, étant observé que celle-ci peut également être hébergée par sa mère.
  • le prévenu a déclaré un revenu salarié mensuel de 6 000 euros et un investissement outre-mer, ce qui lui permet largement de financer une location pour y résider.

Ils concluent par un rejet du pourvoi sur ce moyen, concluant à l’absence d’ingérence disproportionnée dans les droits du dirigeant auteur d’abus de bien social.

« (…) la confiscation de l’immeuble visé ne peut donc constituer une ingérence disproportionnée aux faits pour lesquels le prévenu a été condamné, ni au montant du produit des infractions, ni au montant des amendes prononcées, ni encore à la valeur de l’immeuble confisqué.

22. En statuant ainsi, et abstraction faite du motif inopérant, relatif à la possibilité pour la fille de M. [K] d’être hébergée chez sa mère, la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen.

23. En effet, les juges ont, en se fondant sur la situation personnelle du prévenu et sur la gravité concrète des faits, apprécié, par des motifs dépourvus d’insuffisance, la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit au respect de sa vie privée et familiale par la confiscation du bien constituant le domicile familial du condamné ».

En conclusion, le domicile familial du dirigeant peut tout à fait être confisqué…. à condition d’être considéré comme proportionné.

IV – Précédent jurisprudentiel en matière de saisie d’immeuble.

Cet arrêt fait suite au précédent jurisprudentiel en la matière (C.Cass, Crim, 27 juin 2018 N°17.84820[1]) au terme duquel la chambre criminelle affinait sa position dans un sens favorable à la personne dont le bien immobilier est saisi.

Les juges du second degré avaient considéré que le principe de proportionnalité n’avait pas, selon une prétendue jurisprudence de la Cour de Cassation, à être appliqué aux saisies opérées sur le produit direct ou indirect de l’infraction de l’article 131-21 du code pénal, ce d’autant plus dès lors que ce texte n’imposerait pas de limiter la confiscation au produit de l’infraction lorsque ce produit a été mêlé à des fonds d’origine licite pour acquérir le bien.

La Chambre criminelle de la Cour de Cassation avait censuré l’arrêt, affirmant :

« Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la saisie immobilière ordonnée, en ce qu’elle concerne un bien acquis, pour partie, avec des fonds d’origine licite, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la demanderesse, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision » ;

La confiscation d’un immeuble, qui s’avère être le domicile de l’intéressé condamné, est possible, dans la mesure ou cette peine complémentaire est proportionnée, et motivée par les juges.

Les juges considèrent donc valable que celui qui s’est enrichi du fait d’une infraction qu’il a commise, peut se voir confisqué le produit, même indirect, de celle-ci. L’accumulation des richesses indues n’est pas acceptée, mais de plus en plus, la confiscation du produit de l’infraction est ordonnée non pas en nature, mais en valeur.

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[1] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037196310?page=1&pageSize=10&query=*1784280&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT

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