Le bailleur n’est pas libéré de son obligation de délivrance en présence d’une clause contractuelle prévoyant une obligation pour le preneur de maintenir les lieux en conformité d’usage

Thomas Chinaglia

Une clause contractuelle issue d’un contrat de bail commercial prévoyant expressément l’obligation pour le locataire de maintenir les locaux en conformité avec la réglementation en vigueur dans le domaine de la sécurité-incendie ne libère pas pour autant le bailleur de son obligation légale de délivrer au locataire la chose louée conforme à la destination prévue au contrat de bail commercial.

3ème civ. 10 avril 2025, n° 23-14.099

I –

En l’espèce, un incendie est intervenu dans des locaux appartenant à une société bailleresse (ci-après le « Bailleur ») et donnés à bail commercial à une société preneuse (ci-après le « Preneur »). L’incendie a pris naissance sur un des panneaux photovoltaïques installés par une société (ci-après le « Producteur ») dans le cadre d’une convention de mise à disposition de la toiture conclue avec le Preneur.

Le Bailleur décidait d’assigner en responsabilité et indemnisation le Preneur, le Producteur et la société vendeuse des panneaux photovoltaïques (ci-après le « Vendeur »), ainsi que leurs compagnies d’assurance respectives.

La cour d’appel de Basse-Terre condamne le Preneur et le Producteur, ainsi que les assureurs, à réparer les dommages subis par le Bailleur du fait de l’incendie. Le Preneur est notamment reconnu coupable de la commission d’une faute lourde dans la mesure où il est déclaré ne pas s’être conformé à la réglementation en vigueur.

L’arrêt attaqué pose notamment sa décision en s’appuyant sur un article du contrat de bail qui prévoyait expressément que le Preneur s’obligeait à se conformer à ladite réglementation, prenant les lieux dans l’état où ils se trouvaient au moment de l’entrée en jouissance, sans pouvoir exiger du Bailleur aucune mise en état ni aucune réparation, réfection ou tout remplacement. Dès lors, aucun manquement à l’obligation de délivrance ne pouvait être imputé au Bailleur.

Les parties condamnées affirmaient en défense que les travaux prescrits par l’autorité administrative étaient à la charge du Bailleur et qu’une clause mettant à la charge du Preneur une obligation de maintenir les locaux aux normes réglementaires ne déchargeait pas pour autant le Bailleur de son obligation de délivrer un local conforme à la destination prévue par le contrat de bail commercial, considérant ainsi que le Bailleur n’avait lui-même pas rempli son obligation de délivrance d’un local conforme à la destination prévue audit contrat, en violation de l’article 1719 du Code civil.

La Cour de cassation affirme notamment que le Bailleur doit réaliser les travaux de mise en conformité des locaux loués aux normes de sécurité-incendie qu’exige l’exercice de l’activité du Preneur prévue au bail. Elle déclare que les juges du fond auraient dû tirer conséquence du fait que les locaux présentaient, dès sa construction, des non-conformités au regard des règles de sécurité-incendie et que, faute d’établir une stipulation expresse mettant à la charge du Preneur les travaux pour remédier à ces non-conformités existantes au moment de la délivrance initiale des locaux loués, le Preneur ne pouvait voir sa responsabilité engagée à ce titre.

II –

L’article 1719 du Code civil dispose :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;

2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée;

[…] »

L’obligation de délivrance du bailleur est l’une des principales obligations de ce dernier au sein d’un bail commercial. Si l’obligation essentielle pour le locataire est le paiement du loyer, celle pour le bailleur est la délivrance du local loué.

Cette obligation de délivrance est une obligation qui résulte de la nature même du contrat de bail commercial. Les manquements à l’obligation de délivrance sont sanctionnés sévèrement par les juges du fond, notamment par la condamnation du bailleur à la réalisation de travaux, par la suspension judiciaire du paiement des loyers et charges accordé au preneur, par la résolution du bail aux torts exclusifs du bailleur ou encore par l’octroi de dommages et intérêts au preneur.

Cette obligation suppose que le bien loué mis à disposition dispose des caractéristiques physiques et juridiques permettant d’exercer effectivement l’activité stipulée au bail. Ainsi et surtout, le bailleur doit délivrer des locaux conformes à leur usage. La destination du bail a donc une incidence particulière sur le respect par le bailleur de son obligation de délivrance.

Il est à ce titre régulièrement jugé que la délivrance conforme à la clause de destination du bail commercial oblige le bailleur à réaliser les travaux nécessaires, notamment ceux exigés par l’administration.

L’arrêt cité affirme clairement qu’une clause du bail stipulant que le preneur « prend les locaux dans l’état où ils se trouvent au jour de son entrée en jouissance » n’exonère pas le bailleur de son obligation de délivrance.

Ainsi, même s’il est prévu contractuellement que le preneur a l’obligation de maintenir les locaux en conformité avec la règlementation en vigueur, en l’espèce celle prévue pour la sécurité-incendie, cela ne l’oblige pas à mettre en conformité un local qui ne l’était déjà pas lors de son entrée en jouissance. Cette obligation demeure exclusivement à la charge du bailleur, ce qui est d’ordre public.

Le bailleur doit donc veiller à rédiger avec clarté et précision les clauses et conditions du bail initial, et notamment celles ayant un impact sur l’obligation de délivrance.

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