SOURCE : Cass. Com. 11 juin 2014, n° pourvoi : 13-16194 et 13-20375, Publié au Bulletin
En cas de liquidation judiciaire, les notaires sont habitués à recevoir des ventes d’immeuble autorisées par le juge commissaire au visa de l’article L. 642-18 du Code de commerce. Selon cet article, le juge peut autoriser la vente de gré à gré des immeubles du débiteur aux prix et conditions qu’il détermine. Lors de l’acte notarié, le notaire remettra le prix de vente au liquidateur, tout en prévoyant de régler la question de la purge[1].
Une telle vente se réalise en principe en trois temps : une offre de l’amateur ou une promesse unilatérale d’achat[2], l’ordonnance du juge-commissaire puis l’acte notarié. D’où cette question : quelle est la situation juridique de l’offrant si le juge a accepté son offre, jusqu’à la signature de l’acte notarié ? La question a fait couler pas mal d’encre au cours de ces dernières années. Il a été jugé hier au visa de l’ancien article L. 622-18 du Code de commerce, que « si la vente n’est réalisée que par l’accomplissement d’actes postérieurs à la décision du juge commissaire qui ordonne la cession du bien, celle-ci n’en est pas moins parfaite dès l’ordonnance, sous la condition suspensive que la décision acquiert force de chose jugée » [3].
Lors de la loi de sauvegarde des entreprises de 2005, le législateur a clairement affiché son « intention de revenir en partie sur cette jurisprudence » qui ne manque pas d’interpeller les civilistes [4]. Dans l’esprit du législateur, il suffisait de remplacer le terme « ordonner » par celui « d’autoriser » pour modifier l’analyse de la Cour de cassation selon laquelle la vente est parfaite dès l’ordonnance. Un arrêt du 4 octobre 2005 a déjà montré que la Cour de cassation n’entendait pas changer de cap [5]. En d’autres termes, que le juge-commissaire autorise ou ordonne la vente, celle-ci est parfaite dès l’ordonnance mais n’est réalisée que par l’acte notarié postérieur. Un arrêt du 11 juin 2014 confirme que la Cour de cassation n’entend pas changer de cap. Elle affirme une nouvelle fois, dans l’hypothèse particulière d’un incendie, que « si la vente de gré à gré d’un immeuble compris dans l’actif du débiteur en liquidation judiciaire n’est réalisée que par l’accomplissement d’actes postérieurs à la décision du juge commissaire qui autorise, sur le fondement du texte susvisé, la cession de ce bien, celle-ci n’en est pas moins parfaite dès l’ordonnance, sous la condition suspensive que la décision acquiert force de chose jugée » (arrêt rendu au visa de l’ancien article L. 622-16 alinéa 3, texte qui utilisait le verbe « autoriser »)
Si le législateur voulait hier revenir sur cette analyse, c’est parce que, disait-on à l’époque, elle « pose des difficultés », notamment au regard du droit de rétractation de l’acquéreur [6]. Aujourd’hui encore, la doctrine relève que « son articulation avec les dispositions de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation, dont rien n’écarte les dispositions, et qui assure à l’acquéreur non professionnel d’un immeuble à usage d’habitation un délai de rétractation et un délai de réflexion selon le cas, est incertaine » [7].
C’est également ce que le notariat a montré du doigt lors de son dernier Congrès à Marseille. «Considérant que le droit de réflexion ouvert à l’acquéreur par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation, intervient alors que la vente est déjà devenue définitive, que les démarches nécessaires en vue de solliciter l’ordonnance de vente garantissent que la décision de l’acquéreur n’a pas été impulsive », il a été proposé que « le délai de réflexion édicté par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation ne s’applique pas à l’acte authentique réitérant la vente d’immeuble ordonnée par le juge » (proposition adoptée le 17 juin 2014). Mais pour l’heure, rien ne permet de priver l’acquéreur de la protection que le législateur moderne a entendu lui conférer, même si le droit des procédures collectives est dérogatoire par excellence [8].
L’analyse particulière de la vente de gré à gré autorisée par le juge, que continue de faire sienne la Cour de cassation, pose donc aujourd’hui, comme hier, la question de savoir comment purger le droit de réflexion-rétractation. Si le praticien fait le choix d’une promesse unilatérale d’achat, on pourrait imaginer de faire courir le délai de rétractation de 7 jours, mais la question du jeu de l’article L 271-1 en présence d’une telle promesse est discutée [9]. S’il s’agit d’une simple pollicitation, même si la vente sera parfaite dès l’ordonnance du juge-commissaire, on devrait pouvoir offrir à l’acquéreur le droit de réfléchir avant de signer l’acte authentique, dès lors qu’on ne peut imaginer de lui adresser un projet de l’ordonnance au motif que celle-ci équivaudrait à un acte authentique de vente [10]. Que d’incertitudes, diront les praticiens. Ce n’est toutefois pas une raison pour écarter un dispositif qui protège en principe tout acquéreur immobilier non-professionnel.
Frédéric VAUVILLE
Vivaldi-Avocats
[1] sur ce principe de la remise immédiate du prix, voir notre étude « La remise du prix de vente en cas de procédure collective in Defrénois 2010, article 39048.
[2] et non pas une vente sous condition suspensive de l’autorisation du juge qui serait critiquable sur le plan des principes, voir récemment les formules proposées par F. Collard « l’autorisation du juge est insusceptible d’être érigée en condition suspensive » in JCP N 2014, n° 1337.
[3] Cass. Comm. 11 mars 1997 : Bull. civ. IV n° 69 Dalloz affaires 1997 page 482 ; Defrénois 1997 page 941 obs. JP Sénéchal, JCP E 1997 I 681 n° 8 obs. Ph Pétel ; Ad JP Garçon, La formation de la vente de gré à gré dans la procédure de liquidation judiciaire des entreprises (à propos de Cass. Comm. 11 mars 1997) : JCP éd N 1997 page 1283.
[4] voir en particulier Rapport Sénat n° 335, 2004-2005 tome I page 418
[5] voir Cass. Comm. 4 octobre 2005 Actualité des procédures collectives 2005, Comm. 233. Ad. Ph. Roussel Galle, la vente de gré à gré d’un immeuble est parfaite dès l’ordonnance du juge commissaire l’autorisant : Actualité des procédures collectives 21 novembre 2005, page 1
[6] voir Rapport Assemblée Nationale n° 2095, 2004-2005, page 331.
[7] F. Perrochon, Entreprise sen difficulté », LGDJ 10° éd. N° 1203.
[8] v. notre étude « Liquidation judiciaire et loi SRU », Droit et patrimoine décembre 2001, p. 51.
[9] v. l’étude précitée de F. Collard.
[10] v. notre étude précitée p. 62