SOURCES :
Chambre Mixte, 7 juillet 2017, n°15-25.651, MONSANTO c/ M. Paul X et autres
Rapport du Conseiller rapporteur, Madame Catherine Ladant
Avis complémentaire de l’avocat général, Monsieur Savinien Grignon Dumoulin
Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, prévu aux articles 1245 à 1245-17 du Code civil[1] introduits par la loi du 19/05/1998, est issu de la transposition de la directive européenne n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985 qui a uniformisé au niveau européen la responsabilité des producteurs de produits défectueux causant un dommage aux personnes ou aux biens autres que le produit défectueux lui-même[2].
Le produit défectueux est un bien qui « n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » appréciée, non pas dans une perspective subjective et contractuelle, c’est-à-dire par rapport à ce qu’attendait l’acquéreur de la chose, mais de façon objective, par rapport à ce que le public était en droit d’attendre[3]. Il doit à cet égard « être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ». Par exemple, lorsqu’un défaut ou un manque d’information sur les risques associés d’un produit est à l’origine d’un préjudice, la Cour de cassation considère que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est applicable[4].
En l’espèce, un agriculteur est intoxiqué en 2004 par les vapeurs d’un herbicide commercialisé par la société MONSANTO depuis 1968, date d’autorisation de mise sur le marché. La victime est hospitalisée et subi plusieurs arrêts de travail liés à l’intoxication. Ayant acquis le produit d’une coopérative agricole qui l’avait elle-même acquis de MONSANTO en 2002, l’agriculteur recherche alors la responsabilité délictuelle, et subsidiairement contractuelle, de MONSANTO qui ne l’avait pas informé exactement de la composition du produit et des précautions d’usage pour son utilisation.
Il n’agit cependant pas sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux puisque selon lui, « le régime spécial de responsabilité du fabricant doit être écarté puisqu’il ne s’applique qu’aux dommages causés par des produits dont la mise en circulation est postérieure à son entrée en vigueur »[5] alors que le produit avait été mis en circulation en 1968, date de l’autorisation de mise sur le marché.
Or cette date était antérieure tant à la transposition de la directive du 25 juillet 1985 par l’effet de la loi n°98-389 du 19 mai 1998 que de la date du 30 juillet 1988, date d’expiration du délai de transposition.
La Cour d’appel de LYON le relève, et retient que MONSANTO avait engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de la victime, au titre d’un manquement contractuel de cette société à l’égard de la coopérative, position conforme la jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation[6].
MONSANTO se pourvoi en cassation, en rappelant que la victime, en qualité de sous acquéreur du produit, membre d’une chaine de contrats translatifs de propriété, disposait d’une action contractuelle directe envers elle, et ne pouvait donc, selon la jurisprudence, exercer aucune action délictuelle[7]. L’enjeu du moyen était loin d’être anodin, puisqu’en matière contractuelle, les clauses limitatives de responsabilité incluses dans le contrat initial (et présentes dans les contrats de MONSANTO), sont opposables à la victime, alors qu’elles sont nulles en matière délictuelle.
L’arrêt encourrait ainsi manifestement la censure.
La Cour de cassation va cependant se placer sur un autre terrain, et plus précisément sur l’obligation, pour les juges du fond, de vérifier si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n’était pas applicable au litige.
Elle relève tout d’abord que la date de mise en circulation du produit n’était pas celle retenue par les parties. S’il est exact que le régime ne s’applique qu’aux produits mis en circulation après l’entrée en vigueur de la loi de transposition de la directive de 1985, la date de mise en circulation n’est pas celle de l’autorisation de mise sur le marché, mais celle de l’entrée « dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé »[8]. Plus clairement dit, il s’agit de la date à laquelle le produit incriminé a été vendu, soit à la victime, soit à la personne auprès de laquelle la victime se l’est procuré.
Pour la Cour de cassation, la victime ayant acquis, en 2004, le produit qui semblait avoir été livré en 2002 à la coopérative par MONSANTO, le régime était susceptible d’être applicable.
La Haute juridiction ajoute que les juges du fond avaient même l’obligation « d’examiner d’office l’applicabilité au litige de la responsabilité du fait des produits défectueux » sur la base des éléments de faits invoqués par les parties, ce qu’impose la jurisprudence de la CJUE[9].
En conséquence, à défaut pour la Cour d’appel de Lyon d’avoir recherché d’office si le régime n’était pas applicable, alors que le demandeur évoquait un défaut d’information sur les risques associés au produit, ayant entrainé des dommages corporels, son arrêt est cassé, les parties étant renvoyées devant la même Cour autrement composée, laquelle devra notamment, au besoin au moyen d’une expertise, déterminer si le produit incriminé avait été vendu à la coopérative agricole après 1998, date de transposition de la directive de 1985 en droit français et le lien de causalité entre le produit et le préjudice de la victime.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] 1386-1 et suivants avant la réforme du Code civil
[2] Cf notre article chronos du 19 novembre 2015, Rappel : L’action en responsabilité du fait des produits défectueux de l’article 1386-1 du Code civil a une porté limité.http://www.vivaldi-chronos.com/index.php/affaire-finance/contrats-civils-et-commerciaux/4913-rappel-l-action-en-responsabilite-du-fait-des-produits-defectueux-de-l-article-1386-1-du-code-civil-a-une-porte-limite
[3] Cf rapport page 31
[4] Cf Avis de l’Avocat général page 31, et jurisprudence associée.
[5] Cf Avis de l’Avocat général page 32.
[6] Ass plén, 6 octobre 2006, n°05-13255
[7] Cf Avis de l’Avocat général page 25 et notamment Cass com., 10 mars 2015, n°13-10003
[8] CJCE, 9 février 2006, aff C-127/04
[9] CJCE, 14 décembre 1995, aff C-430/93 et C431-93, Van Schijndel et Van Veen réaffirmée dans ses arrêts du 12 février 2008 et 6 octobre 2009 (avis de l’avocat général p34)