La reconnaissance jurisprudentielle du « BORE-OUT ».

Thomas T’JAMPENS
Thomas T’JAMPENS

SOURCE : Arrêt de la Cour d’Appel de Paris, Pôle 6, 11ème chambre en date du 2 juin 2020, n° 18/05421

 

L’employeur en vertu de son obligation de sécurité doit être particulièrement vigilent à la santé physique et mentale de ses salariés.

 

Depuis de nombreuses années, les entreprises ont dû appréhender les risques psychosociaux.

 

Ces syndromes liés au monde du travail (dont les causes sont multiples : conditions d’emploi, facteurs liés à l’organisation du travail et aux relations de travail) sont reconnus comme maladies professionnelles sous réserve de satisfaire une procédure complémentaire, qui implique la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

 

L’employeur doit donc prévoir des mécanismes de prévention permettant d’évaluer et de contrôler la charge de travail, afin d’assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

 

A défaut et en cas de survenance d’un accident ou d’une maladie, les juges prud’hommales ont tendances à caractériser le Burn-out (syndrome d’épuisement professionnel) comme la conséquence d’un harcèlement moral[1].

 

De même, la mise à l’écart (Restriction du périmètre d’intervention, diminution des responsabilités, déposséder progressivement un salarié de ses attributions, privation d’informations, etc..) d’un salarié a été considérée comme constitutif d’un harcèlement moral entrainant la condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts et reconnaissance d’une faute inexcusable.

 

Dans l’arrêt commenté la jurisprudence sociale reconnait pour la première une nouvelle forme de souffrance au travail, le Bore-out (ennui professionnel), pourtant déjà identifié en sociologie du travail comme l’absence de travail, l’isolement des personnels ou encore l’attribution de missions dévalorisantes. Mais on voit aussi apparaître des actes spécifiques liés aux circonstances économiques et sociologiques particulières tels que l’absence d’accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines et des formations insuffisantes, voire inexistantes.

 

En effet, si la presse spécialisée ou non a placé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris comme une décision originaire, la Haute Cour[2] a en réalité déjà condamné pénalement la mise à l’écart d’un salarié.

 

Dans les faits, un salarié a été licencié en raison d’une absence prolongée (6 mois) ayant pour effet la désorganisation de l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif.

 

Le salarié a saisi la juridiction prud’hommal afin de faire constater la nullité de son licenciement. Le salarié soutient avoir subi des faits de harcèlement moral de la part de son employeur en raison :

 

  D’une pratique de mise à l’écart à son égard, caractérisée par le fait d’avoir été maintenu pendant les dernières années de sa relation de travail sans se voir confier de réelles tâches correspondant à sa qualification et à ses fonctions contractuelles ;

 

  Du fait d’avoir été affecté à des travaux subalternes relevant de fonctions d’homme à tout faire ou de concierge privé au service des dirigeants de l’entreprise ;

 

  De la dégradation de ses conditions de travail, de son avenir professionnel et de sa santé du fait de ces agissements ;

 

  Du bore-out (opposé du burn-out) auquel il a été confronté faute de tâches à accomplir ;

 

  Des pressions de son employeur dont il a fait l’objet pour qu’il prenne du « médiator » afin qu’il perde du poids et précisant qu’il s’en est fait prescrire de peur de perdre son emploi.

 

Afin de satisfaire au régime probatoire applicable en matière de harcèlement[3], le salarié produit au débats plusieurs attestations de salariés faisant état :

 

  De sa mise à l’écart, « Il a été mis à l’écart, utilisé et mis dans un placard » ;

 

  De ses demandes régulières afin d’accomplir des missions : s’ils « n’avaient pas du travail à lui confier pour qu’il se sente utile et utilise ses compétences comme on aurait dû les utiliser » ;

 

  L’avoir vu « sombrer petit à petit dans un état dépressif, au fur et à mesure qu’il se trouvait placardisé » ;

 

  Qu’il en était réduit « sur ses heures de bureau à configurer l’Ipad du PDG, à s’occuper de la réparation de la centrale vapeur ou se rendait à son domicile pour accueillir le plombier ».

 

  Qu’ il « en avait marre de ne rien faire à part des formations sans évolution. Il ne servait que de bouche-trou et cette situation le rendait très dépressif à tel point qu’il parlait de plus en plus de se suicider » ;

 

  Qu’il « se sentait méprisé par la direction notamment après sa reprise de poids après qu’il ait arrêté de prendre du médiator et qu’il était angoissé par le fait que les différentes assistantes de direction reprenaient son travail et ne ” lui en léguaient plus ».

 

Ces éléments étaient corroborés par différents échanges de mails desquels il ressort que le salarié était chargé d’effectuer des menus dépannages ou courses pour le compte des dirigeants de l’entreprise.

 

L’ensemble de ces faits ont conduit à une dégradation des conditions de travail et de l’état de santé du salarié étant à l’origine de l’accident du travail (crise d’épilepsie) et de la profonde dépression du salarié médicalement constatée.

 

Appréciant souverainement les éléments soumis par le salarié, la Cour d’appel de Paris a retenu de cette chronologie et de ces données circonstanciées ; que le salarié établissait la matérialité des faits précis et concordants à l’appui d’un harcèlement répété et que pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer un harcèlement moral.

 

Conformément à l’article L. 1154-1 du Code du travail, il appartenait donc à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

La société a dès lors indiqué que dans la mesure où le salarié n’avait jamais contesté sa situation oralement ou par écrit, contestant ainsi l’existence d’un quelconque harcèlement moral. Par ailleurs, l’employeur entendait se dédouaner de sa responsabilité eu égard à la rapide dégradation de l’état de santé du salarié, l’empêchant ainsi de prendre les mesures adéquates pour l’en préserver.

 

La Cour d’appel de Paris rappelle que l’absence de plainte du salarié ne suffit pas à établir que les faits qu’il dénonce ne sont pas avérés.

 

De plus, l’employeur n’avait pas veillé à ce que le salarié bénéficie des visites périodiques auprès des services de la médecine du travail, de sorte qu’il ne pouvait faire état d’un quelconque état dépressif antérieur.

 

En conséquence, le manque d’activité et l’ennui du salarié ayant impacté ses conditions de travail de sorte que, son état de santé s’est dégradé caractérise des faits de harcèlement moral et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

 

Le licenciement du salarié en raison de son absence prolongée laquelle n’est que la résultante d’une altération de son état de santé dû au comportement de l’employeur est nul, ce dernier ne pouvant invoquer la perturbation de l’entreprise dont il est à l’origine.

 

Les employeurs devront donc être parfaitement attentifs à ses actions de prévention en matière de charge du travail et s’assurer de l’effectivité de ces dernières, la satisfaction du salarié dans son emploi devenant l’une des thématiques centrales de la fidélisation des collaborateurs et du bien-être au travail.

 

[1] Défini comme des agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d’une dégradation (potentielle ou effective) des conditions de travail de la collectivité.

 

[2] Crim. 26 janv. 2016, n° 14-80.455

 

[3] Le salarié n’est tenu d’apporter que des éléments qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

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Vivaldi Avocats