La notion d’espérance légitime en droit fiscal renvoyée devant le Conseil Constitutionnel

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

Source : Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 11 septembre 2019, n° 431686, Inédit au recueil Lebon

 

Monsieur X, actionnaire de la SAS B qu’il a créée en 2001, a signé le 10 janvier 2011 un compromis de vente portant sur la cession de la totalité de ses actions.

 

La vente a été finalisée le 16 mai 2012, donnant lieu à une plus-value de cession de 862 572 euros, taxée au taux forfaitaire de 19%.

 

Les époux X, ont sollicité par voie de réclamation la décharge de cette imposition ou à tout le moins l’application de l’abattement d’un tiers.

 

Cette réclamation a été rejetée, les époux X ont saisi le tribunal administratif d’Orléans et ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l’article 150-0 D bis du Code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi de finances pour 2012 en tant qu’il supprime l’abattement sur les gains nets retirés des cessions à titre onéreux de parts de société prévu par les dispositions du même article dans leur rédaction antérieure.

 

Pour mémoire, l’article 150-0 D bis du Code général des impôts créé par la loi de finances rectificative pour 2005 permettait que les gains nets de cession de titres réalisés par les particuliers à compter du 1er janvier 2006 soient réduits d’un abattement pour durée de détention égale à un tiers par année de détention des titres au-delà de la cinquième, d’où une exonération totale des plus-values réalisées sur les titres détenus depuis plus de huit ans.

 

Pour les titres acquis ou souscrits à compter du 1er janvier 2006, la durée de détention est décomptée à partir du 1er janvier de l’année d’acquisition ou de souscription des titres. Pour les titres acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2006, la durée de détention est décomptée à partir du 1er janvier 2006.

 

L’abattement devait donc s’appliquer au plus tôt aux cessions réalisées à partir du 1er janvier 2012, avec une possibilité d’exonération totale des plus-values à partir de 2014.

 

Finalement ce dispositif n’a jamais vu le jour. En effet, la loi de finances pour 2012 l’a remplacé par un mécanisme de report d’imposition (dispositif abrogé aujourd’hui).

 

Ainsi, en substitution d’un abattement pour durée de détention, la loi de finances pour 2012 a instauré un nouveau dispositif de report d’imposition des plus-values mobilières sous condition de remploi de 80% au moins du montant de la plus-value réalisée net des prélèvements sociaux dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l’augmentation de capital en numéraire d’une société.

 

Le report d’imposition débouche sur une exonération si les titres souscrits en remploi sont conservés pendant au moins 5 ans.

 

Les requérants soutiennent que les dispositions de l’article 150-0 D bis du Code général des impôts dans leur rédaction issue de la loi de finances pour 2012 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la garantie des droits résultant de l’article 16 de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen de 1789, en tant qu’elles suppriment l’abattement sur les gains nets retirés des cessions à titre onéreux de parts de société prévu par les dispositions du même article dans leur rédaction antérieure.

 

En effet, Monsieur X a respecté la condition énoncée par le législateur en conservant ses titres pendant 5 années à compter du 1er janvier 2006. En outre, lorsque le compromis de cession a été signé en janvier 2011, l’abattement pour durée de détention de l’article 150-0 D bis du Code général des impôts était encore en vigueur. La loi de finances pour 2012 est intervenue entre la signature du compromis et la cession des titres.

 

Ici, il est question de la place l’espérance légitime en droit fiscal.

 

Cette notion d’espérance légitime a été reconnue en jurisprudence sur le fondement de l’article 1 du premier protocole à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales lequel dispose :

 

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

 

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

 

La Cour européenne des droits de l’homme a développé à partir de cet article une notion de bien autonome et plus large par rapport aux droits nationaux du fait qu’elle englobe les créances actuelles mais aussi virtuelles (= l’espérance légitime d’obtenir une valeur patrimoniale) à la condition que cette espérance repose sur une base juridique suffisante[1].

 

Ainsi l’espérance légitime s’analyse comme la croyance légitime en la maintenance d’un régime fiscal favorable pour le contribuable. Dès lors que l’État veut y porter atteinte, il doit le faire selon un motif d’intérêt général et sans que cela ne porte atteinte rétroactivement aux droits octroyés.

 

Le Conseil d’Etat reconnaît cette notion de l’espérance légitime véritablement dans son célèbre arrêt Société EPI de mai 2012[2].

 

Dans l’affaire commenté, le Conseil d’Etat estime que la question soulevée par Monsieur X présente un caractère sérieux et décide de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

 

Affaire à suivre…

 

[1] CourEDH, Gde Ch., Kopecký c. Slovaquie, 28 septembre 2004

 

[2] CE 9-5-2012 n° 308996 plén., min. c/ Sté EPI

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