SOURCE : 3ème civ, 19 février 2014, n°11-28806, FS-P+B+R
C’est la conséquence, certes logique et prévisible, du cocktail « explosif » des articles L145-9, L145-14 du Code de commerce et de la jurisprudence de la Cour de cassation y afférant.
Un bailleur signifie un congé refus de renouvellement du bail sans offre d’indemnité d’éviction à son preneur, sans motiver son refus.
Le preneur l’assigne en nullité du congé et paiement de l’indemnité d’éviction, puis, en cours de procédure, quitte les lieux.
La Cour d’appel de Colmar relève que le congé ne comporte aucun motif et, par une interprétation stricte des dispositions de l’article L145-9 al5 du Code de commerce, aux termes duquel :
« Le congé doit (…) doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné (…) »,
prononce la nullité du congé.
En conséquence, elle considère qu’un congé nul ne pouvant produire aucun effet, le bail s’est poursuivi par tacite prolongation, et n’a été rompu que par le départ du locataire, qui ne constitue pas un cas légal d’ouverture à paiement d’une indemnité d’éviction.
Cette interprétation de l’article L145-9 du Code de commerce n’est pas celle de la Cour de cassation, qui n’a pas manqué de rappelé aux juges du fonds que le congé nul met fin au bail.
En effet, selon une jurisprudence constante, la Cour de cassation distingue le congé nul pour inobservation des conditions de forme prévu par l’article L145-9 du Code de commerce (un congé donné par acte extrajudiciaire) du congé intrinsèquement irrégulier, soit pour absence totale de motivation, soit pour des motifs ne répondant pas aux conditions de l’article L145-17 du code de commerce (congé pour motif grave et légitime non précédé d’une mise en demeure, par exemple).
Seul le premier cas entraine l’inefficacité du congé[1] et la poursuite corrélative du bail. En revanche, le congé insuffisamment motivé met fin au bail[2]. En effet, la « sanction » d’une absence ou d’une insuffisance de motivation d’un tel congé ne peut être le renouvellement automatique du bail, compte tenu du droit absolu du bailleur d’y mettre fin à son terme, mais seulement l’obligation de principe de payer au preneur une indemnité d’éviction[3], ce que rappelle l’article L145-14 du code de commerce.
Quel secours, pour le bailleur confronté à un dépense qui peut se révéler très importante, l’indemnité d’éviction ayant vocation à indemniser l’entier préjudice subi par le preneur (Chiffre d’affaires, frais de déménagement et de réinstallation, différence de loyer, …) ?
Le Bailleur conserve en principe la faculté d’exercer son droit de repentir (Article L145-58 du Code de commerce), et proposer au preneur le renouvellement du bail… sauf que, selon ce texte, « ce droit ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation. »
De plus, selon une jurisprudence constante, si l’article L145-28 du code de commerce confère au preneur un droit au maintien dans les lieux, aucune obligation ne lui impartit d’exercer ce droit : le locataire, auquel le renouvellement a été refusé, peut quitter les lieux sur ce congé sans commettre de faute[4], ni perdre son droit à indemnité d’éviction[5] Selon la Cour de cassation, le locataire n’a que l’obligation de bonne foi : son départ ne doit par être motivé par la volonté de faire échec au droit de repentir du bailleur mais être la simple conséquence de la résiliation du bail[6].
Au cas d’espèce, le locataire recevant un congé refus de renouvellement sans indemnité d’éviction a quitté les lieux en cours de procédure, et a sollicité une indemnité d’éviction. Aucun reproche ne peut lui être fait, ce que confirme la Cour de cassation :
« Qu’en statuant ainsi, alors que le preneur auquel un congé sans motif est délivré peut quitter les lieux sans attendre l’issue de la procédure judiciaire qu’il a initiée et que sa demande en constat de la nullité du congé pour défaut de motif ne peut le priver de son droit à indemnité d’éviction, la cour d’appel a violé les textes sus-visés ; »
Bailleurs, la Cour de cassation vous adresse de nouveau ce conseil, par une décision largement publiée : soyez rigoureux dans la rédaction de votre congé « refus de renouvellement sans indemnité d’éviction », et veillez à la mise en demeure préalable…
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] BICC n°719 du 1er avril 2010 communiqué n°404
[2] 3ème civ, 15 mai 2008, n°07-12669 ; 3ème civ, 28 octobre 2009, n°07-18520 ; 3ème civ, 25 novembre 2009, n°08-21029.
[3] BICC n°719 préc.
[4] Civ, 7 janvier 1969, Ann. Loy 1969-1580
[5] Civ, 9 novembre 1981, Ann loy 1982-968
[6] 3ème civ, 17 janvier 1979, n° 77-12115; 3ème civ, 15 mai 1991, n° 89-18.132