Dissolution pour mésentente entre associés : Paralysie effective, et prise en compte du droit de retrait.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

La 1ère chambre civile de la Cour de cassation juge qu’en cas de mécanismes statutaires permettant de poursuivre l’exploitation effective de la société malgré une mésentente avérée entre les associés, et lorsqu’il existe un droit de retrait, la paralysie exigée par l’article 1844-7, 5° du Code civil n’est pas démontrée, et la dissolution ne peut être prononcée.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 18 janvier 2023, 19-24.671, Publié au bulletin

Dans un arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au bulletin, la première Chambre civile de la Cour de cassation revient sur la dissolution d’une société pour mésentente entre associés.

I – La dissolution pour mésentente

Si la jurisprudence est pléthore en la matière, les juges ne cessent de rebondir sur les cas de mésentente entre associés permettant ou non d’ordonner la dissolution judiciaire d’une société tel qu’organisée par l’article 1844-7, 5° du Code civil.

«Art. 1844-7   La société prend fin:

(…)

 5o Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société;

(…) »

Ainsi donc les associés peuvent solliciter la dissolution judiciaire de la société en invoquant la mésentente, mais à la condition de démontrer une paralysie de fonctionnement.

La mésentente entre les associés est d’ores et déjà encadrée par les juges du Quai de l’Horloge.

Par exemple, le droit prétorien considère que celui des associés, à l’origine de la mésentente ne peut solliciter judiciairement la dissolution de la société (C.Cass, 16 septembre 2014, N°13.20.083), c’est la raison pour laquelle il peut être nécessaire de rechercher l’imputabilité de la mésentente lorsqu’une telle demande est formulée par-devant les juridictions.

Pour autant, dès lors que la mésentente entre deux associés est reconnue par eux sans que puisse être déterminé à qui elle est imputable, la dissolution anticipée peut être prononcée (C.Cass, Com, 13 février 1996, N°93.16.238).

La seconde condition posée par le texte est celle de la paralysie : la mésentente n’est une cause de dissolution anticipée que dans la mesure ou elle a pour effet de paralyser le fonctionnement de la société. A défaut, si celle-ci n’est pas démontrée, les juges du fond ne peuvent retenir comme seul motif de dissolution la mésentente entre associés fussent ils associés à parts égales. (C.Cass, Com, 21 Octobre 1997, N°95.21.156)

Et justement, dans ce nouvel arrêt, les juges se penchent plus minutieusement sur cette condition de paralysie du fonctionnement d’une société à l’encontre de laquelle est présentée une demande de dissolution judiciaire.

Celle-ci doit être effective, c’est-à-dire sans possibilité de la contourner.

II – Le cas d’espèce,

Une société civile est composée de trois associés, dont le capital est réparti selon deux blocs strictement égalitaires, organisé comme suit :

  • 50% pour le premier associé (gérant)

Et

  • 25% pour le deuxième associé
  • 25% pour le troisième associé

Un conflit familiale et successoral éclate entre les associés, mais la société continue de fonctionner.

En effet, les statuts prévoient un fonctionnement « artificiel » et « apparent » des organes sociaux compte tenu de la voix prépondérante attribuée au gérant de la société en cas de partage des voix.

Cependant, pour les associés minoritaires, cette circonstance ne saurait à elle seule exclure l’existence d’une paralysie effective, puisque les décisions ne peuvent qu’être approuvées malgré l’opposition du groupe des associés minoritaires

Invoquant alors la mésentente manifeste entre eux, à l’origine d’une paralysie de fonctionnement, l’un des associés minoritaire sollicite la dissolution judiciaire de la société, sur le fondement de l’article 1844-7 du Code civil. Le second minoritaire s’associe alors à cette demande, deux blocs égalitaires d’associés s’opposent alors.

L’associé majoritaire, et la société interjettent appel de la décision prononçant la dissolution en première instance, obtiennent gain de cause, mais les demandeurs initiaux se pourvoient en cassation.

III – Les moyens

Les demandeurs au pourvoi soulèvent trois arguments intéressants :

  • En prenant en compte la seule organisation statutaire pour écarter une paralysie, la Cour d’appel violait les dispositions précitées du code civil, alors que sans celle-ci, le fonctionnement de la société aurait été évidemment paralysé compte tenu de la mésentente avérée entre les associés.  
  • En prenant en compte la faculté de retrait des associés pour écarter leur demande de dissolution, le juge a violé les dispositions précitées du code civil, puisqu’il ne peut ni contraindre un associé à céder ses parts, ni refuser une demande de dissolution par la considération que celui-ci pourrait exercer son droit de retrait.
  • En se fondant sur l’absence de démonstration d’une situation irrémédiablement compromise au regard des résultats sociaux, la Cour d’appel a ajouté une condition non prévue par les dispositions précitées du Code civil.

IV – La Cour de cassation

La première Chambre civile dans un arrêt du 18 Janvier 2023 considère alors :

« 18. Après avoir constaté qu’en dépit de la répartition égalitaire des titres entre les associés, les dispositions statutaires de la société [Adresse 6] permettaient d’adopter les résolutions nécessaires à son bon fonctionnement et de prévenir, en cas de désaccord, tout blocage en raison de l’attribution, lors des assemblées générales, d’une voix prépondérante au gérant qui en assurait la présidence, qu’elles donnaient aux associés la possibilité de se retirer totalement ou partiellement de la société [Adresse 6] et que ni Mme [I], ni M. [W] [I] n’avaient formulé une telle requête, la cour d’appel a retenu que l’activité de cette société se poursuivait en dépit des conflits entre associés et qu’elle pouvait, le cas échéant, continuer de fonctionner après un retrait d’associés.

19. La cour d’appel, qui avait la faculté de prendre en compte le droit de retrait conféré aux associés, qui ne s’est pas fondée sur une absence de blocage apparente et qui n’a pas subordonné la dissolution de la société [Adresse 6] à la preuve d’une situation financière irrémédiablement compromise, a pu en déduire que la mésentente entre les associés ne paralysait pas son fonctionnement et rejeter la demande de dissolution. »

La Cour de cassation rejette le pourvoi, et s’associe à la position des juges du fond.

Ainsi, dès lors qu’un mécanisme statutaire permet de ne pas débloquer le fonctionnement de la société en cas de désaccord entre les associés, et que chacun ceux-ci disposent en outre d’un droit de retrait, la mésentente ne saurait être considérée comme paralysant le fonctionnement de la société, et ne justifie pas la dissolution.

Le blocage de la société doit être effectif pour justifier une dissolution judiciaire, et tel n’était manifestement pas le cas.

IV – Revirement de jurisprudence

Cette décision constitue par ailleurs un revirement de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, laquelle avait considéré dans un ancien arrêt (C.Cass, Com, 12 mars 1996, N°93.17.813) que que le juge ne pouvait obliger un associé à céder ses parts.

« Mais attendu qu’aucune disposition légale ne donne pouvoir à la juridiction saisie d’obliger l’associé qui demande la dissolution de la société par application de l’article 1844-7.5o du Code civil à céder ses parts à cette dernière et aux autres associés qui offrent de les racheter, que par ce motif de pur droit, substitué à celui critiqué, la décision déférée se trouve légalement justifiée ; que le moyen ne peut donc être accueilli ; »

Ainsi, désormais,  la faculté de retrait d’un associé peut être prise en considération pour écarter sa demande de dissolution, le juge pourrait ainsi, indirectement, contraindre un associé à céder ses parts en refusant de dissoudre.

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