Source : Cass. Com. 11 mai 2022 n° 19-22.242 FS-B
I –
La Cour de Cassation avait à apprécier l’offre probatoire du Ministre de l’Economie et des Finances qui faisait grief à une société GE ENERGY PRODUCTS France (la Société) d’introduire dans leurs conventions avec leurs co-contractants, des clauses manifestement déséquilibrées au sens de l’article L.442-6,I, 2° du Code de Commerce (ancien) désormais codifié à l’article L.442-1 du même Code, issu de l’Ordonnance n° 2019-349 du 24 avril 2019 (article 2) qui dispose désormais qu’ « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie (…) » (ci-après : « le Texte »).
Dans son ancienne version (article L.442-6, I, 3°) le texte autorisait le Ministre chargé de l’Economie ou le Ministère Public à saisir la Juridiction consulaire territorialement compétente « d’ordonner la cessation des pratiques prohibées, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et de demander la répétition de l’indu et même demander qu’une amende civile dont le montant était plafonné à 5 Millions d’euros ou portée au triple du montant des sommes indûment versées ou de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement à 5 % du chiffre d’affaires HT en France ».
Désormais, ce droit consenti au Ministère de l’Economie et des Finances et au Parquet est repris à l’article L.442-4 du même Code. En pratique, il assez rare que la victime d’un contrat manifestement déséquilibré, c’est-à-dire, la plupart du temps, un fournisseur, saisisse le Tribunal aux fins d’obtenir l’annulation du ou des clauses litigieuses, voire du contrat et obtenir la réparation sans préjudice, voire la restitution de l’indu. Le travail est, d’une manière générale effectué par le Ministère des Finances via les remontées de ses directions régionales, de sorte que la plupart du temps le procès oppose le Ministre à une société mise en cause, auxquels peuvent être associés, parfois à leur insu, les entreprises soupçonnées d’être victimes du déséquilibre significatif.
II –
La première difficulté, pour le Ministre, est de démontrer, au regard du droit prétorien que « la soumission ou la tentative de soumission » d’un fournisseur ou partenaire commercial, premier élément constitutif de la pratique du déséquilibre significatif s’inscrit dans un contexte d’absence de négociation effective des clauses incriminées[1]. Autrement dit, avant d’établir le déséquilibre significatif, il faut prouver l’existence préalable d’un contrat d’adhésion.
Sans nul doute, en jugeant de la sorte, la Cour de Cassation ajoute au Texte, en tout cas en matière commerciale, mais harmonise le déséquilibre significatif dans les relations entre professionnels avec celui de l’article 1171 du Code Civil, ainsi rédigé :
« Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».
Encore que la Haute Cour, bien avant l’article 1171 issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, avait commencé, sans texte, à se reconnaître le pouvoir de soumettre à son contrôle le déséquilibre significatif par le biais de la cause[2].
Toute la difficulté, pour notre Ministre, est d’établir l’absence de négociation, alors que, par définition, celui-ci n’est pas partie au contrat et que les victimes du déséquilibre sont soit silencieuses ou absentes du procès. C’est là qu’entrent en jeu les services de la DGCCRF qui disposent des ressources nécessaires pour réaliser des enquêtes auprès des entreprises co-contractantes à l’auteur présumé du déséquilibre significatif.
Pour éviter des rétorsions vis-à-vis de ses co-contractants / fournisseurs témoins, les DGCCRF ont pris la mauvaise habitude d’anonymiser leur déclaration. Encore que le recours à l’anonymisation avait déjà été jugé valable au visa de l’Ordonnance du 1er décembre 1986[3] qui décide qu’« il n’est pas interdit au Juge de faire état de déclarations anonymes non accompagnées de la remise de documents, dès lors que cette déclaration est soumise au Juge au moyen d’un document établi par les enquêteurs et signé par eux, permettant ainsi d’apprécier la teneur est corroborée par d’autres éléments d’information décrits et analysés par lui ».
C’est la fin de cet attendu de principe qui n’a pas été totalement compris par le Ministre dont la preuve du déséquilibre significatif n’avait été rapporté que par des seuls témoignages anonymes. Il s’agit, selon la Haute Cour, d’une violation de l’article 6 paragraphes 1 et 3 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales qui interdit au Juge, au regard des exigences du procès équitable, de fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes.
Ainsi résumé, les témoignages anonymes servent à appuyer d’autres éléments de preuve et pas à le suppléer.
[1] Cass. Com. 20 novembre 2019 n° 18-12.823 P-B
[2] Pour exemple, Cass. 3ème Civ. 29 octobre 2013 n° 12-22.498 : rejet d’un déséquilibre significatif sur le fondement de l’absence de cause illicite du contrat
[3] Cass. Com. 26 octobre 1993 n° 92-13.658 publié au bulletin