Déclaration Notariée d’Insaisissabilité (DNI) sur un immeuble indivis : le liquidateur judiciaire d’un indivisaire ne peut pas provoquer la licitation partage

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com. 10 juillet 2019, n° 18-16.867, F-PB

 

I – Bref rappel des termes du débat

 

Dès sa mise en place en 2003, la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) suscitait des interrogations sur son efficacité en cas de procédure collective de l’entrepreneur individuel. Se posait plus précisément la question de l’opposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité à la liquidation judiciaire du déclarant. La Cour de cassation s’était d’abord fondée implicitement sur l’étendue de l’effet réel de la procédure pour affirmer l’efficacité de principe de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble hors procédure[1], pour ensuite se situer sur le terrain de la qualité à agir du mandataire judiciaire, pour dénier au liquidateur le droit d’agir en inopposabilité dès lors qu’il ne peut légalement le faire que pour la défense de l’intérêt collectif des créanciers, et non d’un groupe de créanciers, sachant qu’en application de l’article L.526-1 du Code de commerce, la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité[2].

 

Cette lecture processuelle s’était donc tout logiquement étendue à l’action paulienne[3], ou encore à la licitation partage de l’immeuble indivis déclaré insaisissable[4]. Seule était permise l’inscription d’une hypothèque judiciaire sur l’immeuble[5], ou encore la contestation de la régularité de la DNI, à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers[6]. Le corolaire à tout cela est que le créancier auquel la DNI n’est pas opposable peut poursuivre la saisie de l’immeuble soustrait aux règles de la liquidation judiciaire[7].

 

Le principe était donc posé : le liquidateur ne peut agir que s’il représente tous les créanciers, et pas seulement certains d’entre eux, à qui notamment la déclaration serait inopposable. Cependant le passif est généralement composé à la fois de créanciers auxquels la déclaration est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels) et de créanciers auxquels elle est opposable (créanciers professionnels postérieurs à la déclaration), ce qui prive donc le liquidateur de la faculté d’agir en inopposabilité et/ou aux fins de vente de l’immeuble, puisqu’il n’agit pas dans l’intérêt de tous les créanciers. Pour que le liquidateur puisse agir ainsi, le passif devrait être exclusivement composé de créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels), ce qui n’est jamais le cas en pratique.

 

II – L’espèce

 

Une commerçante déclare insaisissable un immeuble commun à elle et son mari, constituant leur résidence principale. Elle est mise en liquidation judiciaire, et le divorce des époux est prononcé trois ans plus tard. Son ex-époux saisit le juge aux affaires familiales pour obtenir le partage judiciaire de l’indivision post-communautaire. La commerçante reproche au juge d’avoir ordonné la vente aux enchères de l’immeuble à la demande du liquidateur judiciaire intervenu à l’instance. En effet, soutient-elle, ses droits indivis sur l’immeuble n’ont pas été appréhendés par la liquidation judiciaire, la déclaration d’insaisissabilité étant antérieure à l’ouverture de cette procédure ; le liquidateur n’avait donc pas qualité à agir en partage et licitation du bien en son nom.

 

Certes, reconnaît la Cour de cassation, le liquidateur judiciaire ne représente pas le débiteur en ce qui concerne les droits de celui-ci sur l’immeuble qu’il a régulièrement déclaré insaisissable, lequel n’est dès lors pas entré dans le gage commun des créanciers. Toutefois, le juge aux affaires familiales, saisi par l’ex-époux d’une demande d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision, pouvait, en exécution du jugement de divorce et après avoir rejeté la demande d’attribution préférentielle du bien litigieux dont il était également saisi, ordonner sa licitation pour parvenir au partage de l’indivision sans avoir besoin d’une demande à cette fin du liquidateur. Ceci suffisait à justifier la décision de la cour d’appel, peu important l’irrecevabilité de l’action du liquidateur.

 

III – L’arrêt de rejet

 

Par cette nouvelle décision, la Cour de cassation rappelle que dès lors que le bien avait fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité régulièrement publiée avant le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, les droits indivis du débiteur n’avaient pas été appréhendés par la procédure collective, et le liquidateur n’avait pas qualité pour agir en partage et licitation sur le fondement de l’article 815 du code civil.

 

La Haute juridiction réaffirme le principe posé déjà dans son arrêt du 30 juin 2015[8], mais qui était demeuré inédit, puis affirmé le 14 mars 2018 avec un arrêt largement publié (dans cette espèce les époux étaient mariés)[9]. Le principe reste ainsi consacré quelque soit les cas de figure, ce qui découle logiquement des postulats rappelés par la Cour régulatrice, quant à l’effet réel des procédures collectives, et la qualité à agir du liquidateur judiciaire.

 

La déclaration notariée d’insaisissabilité n’a pas été adaptée à l’hypothèse de la liquidation judiciaire de l’entrepreneur individuel, ce qui lui vaut depuis son origine une série de critiques. La Cour de Cassation confirme ainsi ne pas être favorable aujourd’hui à l’idée de permettre au liquidateur judiciaire d’agir en vente forcée du bien immobilier grevé d’une déclaration d’insaisissabilité opposable. L’esprit du texte est sauf.

 

[1] Cass. com. 28 juin 2011, n°10-15.482, FS-P+B+R+I

 

[2] Cass. com. 13 mars 2012, n°11-15.438, FS-P+B

 

[3] Cass. com., 23 avril 2013, n°12-16.035, FS-P+B ; Décision anéantie depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 et pour les procédures collectives ouvertes postérieurement au 1er juillet 2014 : la déclaration notariée d’insaisissabilité de la résidence principale ou d’autres immeubles est désormais expressément mentionnée au rang des actes susceptibles d’être annulés (nullité de plein droit postérieurement à la date de cessation des paiements, nullité « facultative » dans les 6 mois qui précèdent selon l’article L.632-1 du Code de commerce)

 

[4] Cass. com., 30 juin 2015, n°14-14.757, F-D

 

[5] Cass. com., 11 juin 2014, n°13-13.643, FS-P+B

 

[6] Cass. com., 15 novembre 2016, n°14-26.287, FS-P+B+I

 

[7] Cass. com. 5 avril 2016, n°14-24.640, FS-P+B

 

[8] Cass. com., 30 juin 2015, n°14-14.757, F-D

 

[9] Cass. com. 14 mars 2018, n°16-27.302, F-P+B+I

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