Clause d’indexation uniquement à la hausse. La Cour de cassation éclaircit le mécanisme et la portée de la sanction.

Equipe VIVALDI
Equipe VIVALDI

SOURCE : Cass. 3ème civ. 30 juin 2021 n°19-23.038 , FP-B+C

 

En ce qui concerne le régime de la sanction, trois autres décisions vont se succéder sans ajouter de la clarté au débat, au point qu’avant l’arrêt commenté, on s’interrogeait encore sur la manière de traiter ce type de clause. La réponse nous est désormais fournie par l’arrêt du 30 juin 2021.

 

I

 

Présentes dans la grande majorité des baux commerciaux, les clauses d’indexation, également appelées clauses d’échelle mobile, continuent de susciter un abondant contentieux qui ne se tarit pas. La troisième chambre civile de la Cour de cassation a posé les bases d’une jurisprudence selon laquelle la clause qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse est illicite[1]. Cette solution a trouvé écho auprès de la chambre commerciale[2] ou plus récemment auprès de la troisième chambre civile en charge des baux à la Cour de cassation[3].

 

A cet égard, si le propre même d’une clause d’indexation est de protéger les parties contre les risques de variation de valeur de la monnaie de paiement, et de prévenir tout déséquilibre du contrat eu égard aux circonstances économiques fluctuantes, elle constitue également un mécanisme de révision plus souple que celui résultant des dispositions de l’article L.145-38 du code de commerce relatif à la révision triennale du loyer, il ne fait aucun doute qu’une clause qui ne fonctionnerait qu’à la hausse crée un déséquilibre au profit du seul bailleur, et transgresse les raisons pour lesquelles l’indexation est généralement préférée à la révision.

 

Dans son arrêt du 14 janvier 2016[4], la Cour de cassation sonne la glas de ce type de clauses par un attendu qu’il convient de citer :

 

« Mais attendu, d’une part, qu’est nulle une clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse ; qu’ayant relevé, par motifs adoptés, que la clause excluait, en cas de baisse de l’indice, l’ajustement du loyer prévu pour chaque période annuelle en fonction de la variation de l’indice publié dans le même temps, la cour d’appel, qui a exactement retenu que le propre d’une clause d’échelle mobile était de faire varier à la hausse et à la baisse et que la clause figurant au bail, écartant toute réciprocité de variation, faussait le jeu normal de l’indexation, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

 

Mais poursuit ainsi :

 

« Attendu, d’autre part, que, sans dénaturer la convention, la cour d’appel, qui a apprécié souverainement le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation, a pu en déduire que la clause devait être, en son entier, réputée non écrite ».

 

La lecture des attendus de l’arrêt qui encadre la clause d’indexation peut légitimement interpeller en ce qu’il mélange dans la même décision nullité et caractère non écrit.

 

Le régime juridique de la sanction est cependant différent selon que la clause litigieuse est nulle ou réputée non écrite :

 

  Si la sanction est la nullité, la clause ne pourra plus être contestée par le preneur une fois la prescription quinquennale atteinte ;

 

  Si à l’inverse la clause est réputée non écrite, l’action du preneur est imprescriptible.

 

Explications :

 

  Dans les deux cas, le preneur ne pourra agir contre le bailleur que dans la limite de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil sur le recouvrement des loyers. Mais la différence tient au montant du loyer à retenir pour fonder la demande de remboursement ;

 

  Si la sanction est la nullité, il faut partir du loyer indexé cinq ans auparavant et demander la condamnation au paiement de la différence entre les loyers payés et ceux qui étaient dus il y a cinq ans ;

 

  Si la sanction est le caractère non écrit, il faut partir des loyers, selon certains auteurs fixés au moment de la conclusion du bail, ou selon d’autres lors de son dernier renouvellement, de sorte que le coût pour le bailleur n’est pas le même.

 

Dans tous les cas, une sanction financièrement très lourde alors que dans la majeure partie des situations examinées par Vivaldi Avocats, le rétablissement du jeu normal de l’indexation conduisait à un écart de loyer relativement faible.

 

En bref, un nouveau contentieux d’opportunité s’ouvrait aux preneurs qui pour certains en ont abusé.

 

II –

 

Au-delà de la nature de la sanction (nullité / non écrit), se posait également le périmètre de celle-ci. Devait on considérer qu’une clause exclusivement à la hausse était nulle ou non écrite dans son ensemble, ou au contraire écarter la seule partie des stipulations neutralisant la baisse de l’indexation.

 

Si la clause doit être invalidée dans son entier, on se retrouve dans l’hypothèse décrite au I- ci avant. Dans le cas contraire, si la clause est sécable, il appartiendra aux juges de prendre uniquement l’incidence de la neutralisation à la baisse de la clause d’indexation. Autrement dit, statuer sur des montants sans rapport avec ceux qui pourraient être sollicités par le preneur en cas d’invalidation de la clause dans son ensemble.

 

Dans un arrêt qui a fait les honneurs de la plus haute publication doctrinale [5], la troisième chambre a franchi le pas et déclaré sécable la sanction par un attendu ainsi rédigé :

 

« Qu’en statuant ainsi, alors que seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite (…) ».

 

Malheureusement, la Haute Cour a encore fait référence dans la même décision au caractère non écrit et la nullité. Un pas, certes, mais de côté.

 

III –

 

Dans son arrêt commenté par CHRONOS, les magistrats précisent leur raisonnement,  dans l’intérêt de tous et surtout de la justice.

 

En premier lieu, la Cour précise que le caractère non écrit est venu se substituer à la nullité à l’occasion de la réécriture de l’article L.145-15 du code de commerce issu de la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel. Même si la Cour explique que ce texte s’applique aux baux en cours, il faudra nécessairement faire application de l’article 2 du code civil : « La loi n’agit que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Cela pourrait, dans le pire des cas, limiter la sanction à la date de promulgation de la loi Pinel.

 

En second lieu, l’arrêt, explique qu’une révision uniquement à la hausse est prohibée par l’article L.112-1 du code monétaire et financier en faisant référence à son arrêt de 2016 précité dont la clarté n’était pas la meilleure de ses qualités.

 

En troisième lieu, l’arrêt précise que la sanction est bien le réputé non écrit. Exit donc la nullité et sa prescription.

 

En quatrième lieu, la Cour de cassation poursuit son œuvre de construction doctrinale en réaffirmant le caractère sécable d’une clause d’indexation uniquement à la hausse limitant ainsi la casse pour les bailleurs qui ne devront être condamnés qu’au remboursement de la part du loyer qui aurait du baisser par le jeu de l’indexation à la baisse.

 

En cinquième lieu, la Cour admet la possibilité pour les juridictions du fond de ne pas séquer une clause d’indexation uniquement à la hausse dans l’hypothèse où la clause répondrait à la définition de l’article 1217 du code civil[6] dans sa rédaction antérieure à la réforme issue de l’ordonnance 2016 (ce qui va de nouveau poser un problème d’application de la loi dans le temps) lorsque l’obligation n’est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle, mais s’empresse de sanctionner, la Cour d’appel de Reims pour avoir déclaré une clause d’indexation uniquement à la hausse indivisible au motif que seul le refus de l’indexation à la baisse était prohibé, laissant ainsi intacte la partie de la clause de l’indexation à la hausse.

 

A lire l’arrêt, pratiquement toutes les clauses d’indexation permettront aux bailleurs de se sortir d’un contentieux en ne payant que l’écart de loyer qui n’a pas pu baisser par la neutralisation du mécanisme d’indexation à la baisse et rien d’autre. Pour ceux des bailleurs qui avaient stipulé que cette clause d’indexation était indivisible ou constituait une condition essentielle sans laquelle ils n’auraient pas contracté, le risque reste entier.

 

[1] Cass. 3ème civ. 14 janvier 2016, n°14-24.681 FS-P+B

 

[2] Cass.Com, 18 mars 2020, n°18-22.050

 

[3] Cass.3ème civ. 10 septembre 2020, n°19-17.139

 

[4] Cf note de bas de page 1°

 

[5] Cass, civ 3ème  29 novembre 2018, n°17-23.058 FS-P+B+R+I

 

[6] Les articles 1217 à 1227 organisant le régime des prestations indivisibles a été substitué par l’article 1320 du code civil nouveau dont la rédaction, va nécessairement complexifier le travail des juges lorsqu’il s’agira de l’appliquer aux baux commerciaux

Alexandre Boulicaut

 

Vivaldi avocat

Partager cet article