Servitude de passage : priorité sur les terrains issus d’une division foncière

Amandine Roglin

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 20 novembre 2025, 24-17.240, Publié au bulletin

Le droit de passage pour cause d’enclave permet au propriétaire d’un immeuble dépourvu d’accès à la voie publique de réclamer l’institution d’une servitude sur les terrains voisins (C. civ., art. 682). En principe, ce droit peut s’exercer sur n’importe quel terrain avoisinant, en choisissant le trajet le plus court et le moins dommageable pour les propriétaires grevés (C. civ., art. 683).

Cependant, lorsque l’enclavement résulte directement de la division d’un fonds unique, le passage doit être institué prioritairement sur les parcelles issues de cette division (C. civ., art. 684).


Faits et procédure

En 2017, un propriétaire vend une partie de ses parcelles à une société. Une autre portion des terrains, constituant l’accès à la voie publique, avait été vendue dès 2013 à d’autres acquéreurs. La société se retrouve avec des parcelles enclavées et assigne les propriétaires voisins pour faire fixer l’assiette d’une servitude de passage.

Les propriétaires s’opposent, arguant que l’enclavement résulte de la division du fonds unique en 2013 et que, conformément à l’article 684 du code civil, la servitude doit être établie sur les parcelles issues de la division. La cour d’appel fait droit à cet argument et rejette la demande de la société.


Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation valide la décision de la cour d’appel. Elle rappelle que :

  • le fait que les parcelles enclavées aient été vendues ultérieurement sans droit de passage préalablement aménagé n’empêche pas l’application de l’article 684 ;
  • l’enclavement résultant directement de la division foncière impose que le passage soit établi sur les terrains issus de cette division, et non sur d’autres parcelles voisines (C. civ., art. 684).

Ainsi, même en cas de mutations successives des parcelles, la priorité de l’assiette du passage sur les terrains issus de la division initiale reste préservée.


Observations jurisprudentielles

La jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur ce point :

  1. Article 684 et division de fonds : lorsque l’enclave résulte directement d’une division foncière effectuée pour vente, partage ou échange, la servitude de passage se fixe sur les parcelles issues de cette division et non sur tout autre terrain voisin (Cass. 3e civ., 2 oct. 1996, n° 94-16.838).
  2. Mutations successives et maintien du lien direct : la revente ou rétrocession des parcelles issues de la division n’annule pas le lien entre la division et la situation d’enclavement des terrains restants (Cass. 3e civ., 17 oct. 2012, n° 11-24.811 ; Cass. 3e civ., 28 oct. 1974, n° 73-12.270). Ainsi, la situation d’enclave et le droit du propriétaire à faire établir une servitude restent protégés.
  3. Limitation de l’application de l’article 683 : l’article 683, qui prévoit le passage sur le chemin le moins dommageable, n’est pas applicable lorsque l’enclave résulte d’une division de fonds. La Cour de cassation a plusieurs fois rappelé que l’article 684 prime dès lors que l’origine de l’enclave est la division foncière (Cass. 3e civ., 2 oct. 1996, n° 94-16.838).

Conclusion

Cette décision confirme que la servitude de passage pour cause d’enclave est strictement encadrée lorsque l’enclavement provient d’une division de fonds. Les propriétaires des terrains issus de la division sont prioritairement grevés, et les ventes ultérieures ne modifient pas ce droit. La jurisprudence constante de la Cour de cassation assure ainsi une protection stable des propriétaires enclavés, tout en limitant l’assiette du passage aux parcelles directement issues de la division initiale.

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