Lorsque des désordres majeurs affectent un ouvrage, qu’un solde reste impayé et qu’une partie de l’ouvrage doit être détruite pour être reconstruite, aucune réception, tacite ou judiciaire, ne peut être considérée comme intervenue. Dans ce cas, la responsabilité contractuelle des constructeurs est pleinement engagée.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 octobre 2025, 22-20.146, Inédit
Dans cette affaire, un maître d’ouvrage confie à un architecte une mission complète de maîtrise d’œuvre ainsi qu’à une entreprise la réalisation des lots gros œuvre, maçonnerie, abords, toiture et piscine. Constatant des désordres importants, il obtient en référé la désignation d’un expert et assigne ensuite les constructeurs en réparation des dommages et indemnisation de son préjudice de jouissance.
Les juges du fond constatent :
- l’absence de réception expresse : aucun document signé par le maître de l’ouvrage ne manifeste sa volonté claire et non équivoque de recevoir les travaux ;
- des désordres graves : certaines parties de l’ouvrage doivent être détruites pour être reconstruites ;
- une contestation manifeste de l’ouvrage : le maître de l’ouvrage fait constater les désordres par un huissier et sollicite la désignation d’un expert judiciaire.
En conséquence, ils écartent l’existence d’une réception tacite ou judiciaire et condamnent les constructeurs sur le fondement de leur responsabilité contractuelle.
La Cour de cassation approuve cette décision. Elle souligne que :
- l’entreprise ne pouvait invoquer le solde impayé pour écarter sa responsabilité ;
- la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux n’était pas établie ;
- l’état de l’ouvrage, nécessitant la destruction d’une partie des travaux, rendait impossible toute réception judiciaire.
- Réception tacite :
La jurisprudence exige pour sa reconnaissance une manifestation claire et non équivoque de la volonté du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage, ce qui implique que les travaux soient exécutés sans contestation sérieuse et que les désordres importants aient été levés (Cass. 3e civ., 19 sept. 2024, n° 22-24.871 ; Cass. 3e civ., 17 oct. 2024, n° 23-15.006). En présence de réserves importantes ou d’une opposition manifeste, la réception tacite ne peut être retenue. - Réception judiciaire :
Le juge peut prononcer une réception judiciaire uniquement si l’ouvrage est en état d’être livré et utilisé conformément à sa destination. Si des travaux doivent être détruits et repris, cette condition n’est pas remplie, et la responsabilité contractuelle des constructeurs reste pleinement engagée. La Cour rappelle ainsi que la réception judiciaire ne peut se substituer à une réception normale que lorsque l’ouvrage est apte à l’usage (Cass. 3e civ., 19 sept. 2024, précité ; Cass. 3e civ., 17 oct. 2024, précité). - Conséquences pour les constructeurs :
L’absence de réception valide entraîne que les constructeurs restent responsables de plein droit des désordres et des préjudices subis par le maître de l’ouvrage. Cette responsabilité s’applique indépendamment de tout paiement partiel ou contestation sur le solde restant dû. - Protection du maître de l’ouvrage :
Cette solution confirme la jurisprudence constante protégeant le maître de l’ouvrage contre toute acceptation tacite ou judiciaire d’un ouvrage impropre à sa destination, garantissant ainsi l’exigence d’une livraison conforme et sécurisée.
En synthèse, cet arrêt illustre que :
- la réception tacite n’est pas présumée en présence de réserves importantes ou de contestations sérieuses ;
- la réception judiciaire n’est possible que si l’ouvrage est apte à être utilisé ;
- la responsabilité contractuelle des constructeurs est engagée dès lors que ces conditions ne sont pas remplies, même en cas de solde impayé.

