Dans le cadre d’une procédure pour potentiel abus de confiance et sous peine de censure pour absence de justification de sa décision, le juge doit justifier les éventuels transferts suspects de sommes d’argent en lien avec un mandat de gestion de patrimoine culturel.
Source : Cass. crim., 10 sept. 2025, n° 24-81.491
I –
Deux ans après le décès de son père, peintre de son état, survenu en 1997, son fils, propriétaire d’œuvres de son père, confie la gestion de son patrimoine à un autre membre de sa famille, son beau-frère, et lui demande de lui rendre des comptes durant les années 2000.
La lecture de certains éléments de l’arrêt, et notamment l’intitulé des sérigraphies citées ainsi que l’année de décès, permet d’identifier le peintre comme étant Victor Vasarely.
Il apparaît que le beau-frère mandataire a ouvert un compte au Luxembourg à son nom propre, sans en informer le mandant qui décide de la résiliation du mandat en 2011, sur ce compte transitait notamment des sommes relatives à la vente de certaines œuvres.
Un constat permet de dresser la liste des œuvres entreposées par le beau-frère dans une réserve louée par ses soins, d’autres œuvres sont retrouvées à son propre domicile. Toujours en 2011, le mandant récupère les œuvres à l’exception de deux paquets de sérigraphies dont le mandataire revendique la propriété.
Le fils du peintre finira par porter plainte en 2014 et se porter partie civile des chefs d’abus de confiance et d’abus de faiblesse à l’encontre de son beau-frère indélicat. Au terme de l’information, le beau-frère est mis en examen des chefs d’abus de confiance et d’abus de faiblesse, ce dernier chef étant partagé avec un fils adoptif du peintre. Tous deux sont renvoyés devant le tribunal correctionnel.
Le beau-frère est finalement relaxé du chef d’abus de faiblesse mais condamnée pour abus de confiance à 10 mois d’emprisonnement avec sursis. Quant au fils adoptif apparu en cours d’information, il est condamné à la même peine mais lui du chef d’abus de faiblesse. Des dommages et intérêts sont également prononcés à l’encontre des prévenus.
Prévenus et ministère public relèvent appel de ce jugement du 5 mai 2022.
La Cour d’appel confirme les intérêts civils mais prononce une relaxe partielle des chefs d’accusation pénaux : elle considère que la preuve d’absence de détournement a été apportée.
II –
Pour les lecteurs peu familiers avec le code pénal, il convient tout d’abord de rappeler que :
- L’abus de faiblesse est défini à l’article 223-15-2 du Code pénal et désigne l’abus frauduleux d’une personne en état d’ignorance ou de faiblesse d’un mineur ou d’une personne vulnérable ;
- L’abus de confiance est quant à lui défini à l’article 314-1 du Code pénal et désigne le fait de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque remis et acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
Pour considérer que la preuve d’absence de détournement était rapportée, la cour d’appel a relevé que :
- Le mandant s’est rendu accompagné d’un huissier de Justice dans le local où le mandataire entreposait la majorité des œuvres et, lors d’une seconde visite afin de récupérer lesdites œuvres, il est apparu qu’il manquait deux paquets de sérigraphies inventoriés lors de la première visite. Or, (i) aucun inventaire préalable à la restitution des œuvres n’a été dressé, (ii) le mandant avait accès à l’entrepôt de stockage et (iii) il a lui-même demandé l’arrêt du comptage des œuvres ;
- Le fils adoptif avait connaissance de l’ouverture du compte luxembourgeois dont l’objet était la réception des sommes issues des ventes de certaines œuvres et certaines sommes lui avaient été transférées avec son accord. De plus, le beau-frère n’a pas détourné l’intégralité des sommes et en a conservé à son profit en contrepartie des ses activités de mandataire.
Si la Haute Cour valide le raisonnement de la cour d’appel concernant l’absence de preuve du détournement, elle relève que la cour d’appel n’a pas justifié sa décision, au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale.
III –
En effet, la cour d’appel, qui a pourtant relevé un surplus de sommes portées au crédit du compte, des retraits importants de sommes en liquide ponctionnées sur ce même compte, certains mouvements sur le compte personnel du beau-frère et de son épouse ainsi que sur des mouvements d’argent sur le compte d’une société intervenue dans la vente des œuvres du peintre, n’a pas expliqué ces différents mouvements d’argent tous liés à la commercialisation des œuvres par le beau-frère mandataire.
En d’autres termes, la cour d’appel aurait dû examiner et rattacher ces différents mouvements suspects aux actes accomplis dans le cadre du mandat, c’est-à-dire faire le compte entre les parties et justifier d’une exécution du mandat dénuée de tout abus de confiance.
La Cour de cassation casse donc l’arrêt « mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, en lien avec les faits d’usage des sommes versées sur le compte bancaire luxembourgeois », en l’absence de pourvoi du ministère public.
Le juge du fond doit motiver les transferts de fond suspects dans le cadre d’un potentiel abus de confiance, notamment pour la gestion sous mandat d’œuvres d’art.
 
					 
							
 
			














 
			 
                     
                                
                              
		 
		 
		