Selon l’article R. 153-1, alinéas 1 et 2, du code de commerce, si le juge ordonne un séquestre provisoire des pièces pour protéger le secret des affaires, le saisi doit formuler une demande de modification ou de rétractation dans un délai d’un mois. À défaut, il perd la possibilité d’invoquer cette protection pour s’opposer à la levée du séquestre et à la communication des pièces au requérant.
Com. 14 mai 2025, n° 23-23.897
I –
En l’espèce, une société soupçonne une concurrente, fondée par ses anciens employés, d’actes de concurrence déloyale. Elle obtient du président du Tribunal de commerce de Bordeaux une ordonnance autorisant la saisie de documents, lesquels doivent être conservés sous séquestre par un commissaire de justice. Après plus d’un mois sans demande de rétractation de la part de la société saisie, le requérant demande la remise des documents saisis. La société saisie s’oppose, invoquant la protection du secret des affaires.
Le juge du fond, confirmé en appel, ordonne finalement la levée du séquestre et la remise des documents au requérant, au regard de l’article R. 153-1 du code de commerce, qui prévoit que si aucune contestation n’est formulée dans le délai d’un mois, la mesure de séquestre est levée. La Cour de cassation confirme cette décision dans un arrêt du 14 mai 2025, validant ainsi le mécanisme selon lequel le silence du saisi dans ce délai entraîne la transmission des pièces, malgré les enjeux liés au secret des affaires.
Cet arrêt précise donc le fonctionnement du séquestre provisoire dans ce contexte tout en soulignant que certaines questions autour de la protection du secret des affaires restent à éclaircir.
II –
Pour rappel, l’article 145 du Code de procédure civile permet à une partie de demander au juge, sur requête ou en référé, diverses mesures d’instruction, sous certaines conditions. Pour les saisies de documents chez un adversaire, une pratique de séquestre a été instaurée afin de préserver l’effet de surprise du requérant tout en protégeant les secrets légalement protégés du requis.
Cette pratique a été officialisée par le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, qui a créé les articles R. 153-1 et suivants du code de commerce, applicables uniquement en cas de secret des affaires.
Cependant, la rédaction de ces articles a suscité des interrogations quant à leur portée et leur articulation avec le régime « classique » des mesures d’instruction in futurum développé par la Cour de cassation. L’arrêt commenté apporte un éclairage attendu sur l’une de ces questions délicates.
La question centrale issue du décret du 11 décembre 2018 concernait l’effet automatique de la levée du séquestre si le requis ne saisissait pas le juge dans un délai d’un mois. Le pourvoi contestait que l’absence de demande de rétractation prive le requis de la protection du secret des affaires.
La Cour de cassation a confirmé que si aucune demande de modification ou de rétractation n’est présentée dans ce délai, le requis ne peut plus s’opposer à la levée du séquestre et à la transmission des documents au requérant.
L’arrêt précise donc que le non-respect du délai prive le requis de tout moyen de défense fondé sur le secret des affaires. Toutefois, malgré la clarté apparente de la règle, certaines incertitudes demeurent quant à son interprétation.
III –
L’article R. 153-1 du code de commerce, éclairé par l’arrêt du 14 mai 2025, soulève plusieurs interrogations importantes.
D’abord, bien que la levée du séquestre semble automatique si le requis ne réagit pas dans le délai d’un mois, il n’est pas clair si cette libération peut se faire sans intervention judiciaire. Confier cette décision au seul commissaire de justice pose des risques, notamment la transmission involontaire d’informations protégées par d’autres secrets, ce qui pourrait nuire au requis.
Ensuite, la date précise à retenir pour interrompre ce délai d’un mois est incertaine : la jurisprudence privilégie souvent la remise au greffe de l’assignation, ce qui peut réduire le délai effectif dont dispose le requis pour agir.
Par ailleurs, il reste à préciser si le juge peut prévoir dans son ordonnance initiale que le séquestre ne sera levé qu’après décision judiciaire ou accord des parties, une pratique fréquente qui n’est ni confirmée ni infirmée par la Cour de cassation.
Enfin, la portée du délai d’un mois est discutée : même en cas de non-recours dans ce délai, certaines cours admettent que le requis peut ultérieurement demander la rétractation de l’ordonnance, ce qui pose un paradoxe puisqu’à ce moment les documents saisis auront déjà été communiqués au requérant. Cette situation crée un risque de préjudice irréversible et soulève la question de l’ordre dans lequel le juge doit examiner les demandes de libération du séquestre et de rétractation, avec un dilemme entre la protection des intérêts du requis et le droit du requérant à obtenir les pièces.