Le devoir de vigilance du banquier lui incombe de relever les mouvements anormaux affectant le compte bancaire dites anomalies apparentes.
Source : Cass.Com., 02 octobre 2024, n° 23-13282, n° 526 B
I – Faits et procédure
La fraude au président est malheureusement répandue en ce moment. Cette fraude consiste à se faire passer pour le président de la société afin que la personne disposant d’une habilitation bancaire effectue des paiements sur des comptes généralement basés à l’étranger (Europe et plus particulièrement Espagne, Grèce).
La défense des sociétés victimes s’appuie sur le devoir de vigilance mis à la charge des établissements bancaires qui engagent leur responsabilité contractuelle en cas de manquement.
La comptable d’une société, entre le 11 et le 22 décembre 2017, effectue sept virements pour un montant total de 2 121 903,81 € et au profit d’un compte bancaire d’une société basée à Hong-Kong.
Découvrant la fraude au président dont elle est victime, la société assigne la banque devant le tribunal de commerce de Lille Métropole afin d’obtenir le remboursement des sommes ainsi virées.
Le tribunal de commerce déboute la société de l’intégralité de ses demandes. Cette dernière relève appel du jugement devant la Cour d’appel de Douai qui, par un arrêt en date du 12 janvier 2023, retient un partage des responsabilités pour moitié chacun, la cour estimant que la banque a fait preuve de légèreté et ce faisant, a commis une faute envers la société cliente.
La banque forme alors un pourvoi en cassation et soulève qu’en indiquant que l’obligation de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client lui impose seulement de déceler les anomalies apparentes de l’opération de paiement qu’il lui est demandé d’exécuter, ce qui implique un contrôle léger et non une étude approfondie des habitudes du compte de son client. Dans le troisième moyen, elle soutient qu’en présence d’une anomalie apparente, le devoir de vigilance impose seulement au banquier de vérifier la réalité de cette anomalie et que rien ne l’oblige à obtenir un nouvel ordre de virement de la part de son client.
La question posée par le pourvoi porte donc, tant sur les conditions d’existence de l’obligation de vigilance du banquier, que sur son contenu.
II – Principe de non-ingérence et devoir de vigilance
Le principe de non-ingérence (ou non-immixtion) implique qu’une banque n’a pas à s’immiscer dans les affaires de ses clients, et doit autant respecter la vie privée de ses clients que le secret des affaires.
Le devoir de vigilance du banquier est l’exception.
On rappellera toutefois l’obligation de tout établissement de crédit de procéder à une déclaration TRACFIN dans le cadre des mesures mises en place dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Cette obligation légale est codifiée à l’article L.561-2 du Code monétaire et financier.
Nous avons déjà pu soulever lors d’un précédent article CHRONOS que cette obligation légale ne peut fonder une action en dommages et intérêts et ne peut être travestie en une obligation générale de la banque de surveillance des comptes de ses clients, « la victime d’agissements frauduleux ne peut pas se prévaloir de l’inobservation d’obligations résultant de ces textes pour réclamer des dommages et intérêts à l’établissement financier ».[1]
Le devoir général de vigilance impose au banquier d’être vigilant et de ne pas attendre passivement les évènements auxquels il est confronté dans l’exercice de ses fonctions.
Ainsi, la jurisprudence et la doctrine consacrent régulièrement et encore récemment ce devoir
général de vigilance se traduisant par une obligation pour le banquier professionnel averti « de déceler les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, sur les opérations bancaires de son client » .
Dès lors, en présence d’une telle anomalie apparente (matérielle ou intellectuelle), il appartient
à la banque de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à la régularité des opérations qu’elle est amenée à faire à la demande de ses clients.
L’anomalie apparente est celle qui ne doit pas échapper au banquier normalement prudent et diligent, cette notion présente un caractère relatif et son existence ne peut s’apprécier qu’en fonction des circonstances concrètes de chaque espèce.
En raison d’anomalies apparentes affectant les ordres de paiement, la banque était tenue d’alerter la société pour obtenir la confirmation des ordres litigieux. En effet, selon les conseillers d’appel, certains éléments auraient dû pousser la banque à se renseigner sur la validité des paiements auprès du dirigeant : montant, destination, fréquence, nombre, absence de relations d’affaires, etc.
Au cas d’espèce, la Cour retient que la banque a manqué à son devoir de vigilance au regard des ordres de virements :
- D’un montant anormalement élevé ;
- Au bénéfice de sociétés en-dehors des relations d’affaires habituelles du client et vers un périmètre géographique inhabituel pour le client ;
- Effectué lors d’une période de l’année anormale pour le client et avec un caractère rapproché et répété.
La recrudescence, depuis plusieurs années, de ce type d’escroquerie rend son ignorance de moins en moins acceptable pour les établissements bancaires. Ces derniers, lorsqu’ils constatent une « fraude au président », ne peuvent s’évincer de leur responsabilité par le simple contre-appel au directeur comptable de la société,[2][3] et doivent valider le virement litigieux auprès du dirigeant.
La Cour de cassation s’appuie à nouveau sur les constatations d’appel pour affirmer que l’existence de circonstances inhabituelles entourant les virements litigieux aurait dû, sans exiger l’obtention d’un nouvel ordre de paiement, inciter la banque à vérifier la régularité des ordres de virement auprès du dirigeant, qui est le seul contractuellement habilité à les valider.
Cet arrêt s’inscrit dans la poursuite de sa jurisprudence actuelle. Le banquier est tenu à une obligation de surveillance du compte et qu’il lui incombe de relever les mouvements anormaux, autrement dit, les anomalies apparentes.
La difficulté de ce type de dossier et de placer le curseur, l’anormalité ne s’appréciant que sur la normalité du compte, l’anomalie se révélera à des instants différents. De ce fait, les banques mettent en place une communication accrue à destination des entreprises qui informent les titulaires du pouvoir bancaire et de l’autre les banques mettent en place des outils de surveillance de plus en plus performants.
Cet article a été coécrit avec Maitre Antoine Dumont.
[1] Cass. Com., 28 avril 2004, n°02-15.054
[2] Cour d’appel de Paris – Pôle 5 Chambre 6 – 22 novembre 2023 RG n°22/04074
[3] Dans l’arrêt à l’étude la banque avait appelé la comptable ayant donné les ordres de virement.