Déséquilibre significatif : sur qui pèse la charge de la preuve ?

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : Cass., com. 20 novembre 2019, F-P+B, n° 18-12.823

 

I – LES FAITS

 

Le contexte : une enquête diligentée auprès de toutes les enseignes de la grande distribution afin de vérifier la conformité de leurs contrats à la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008.

 

Conséquence : le 2 novembre 2009, le Ministre chargé de l’économie a assigné les sociétés SPAL boissons, SCA LS frais, SCA laits et dérivés, SCA condiments et dérivés et ITM alimentaire France afin, notamment, qu’il leur soit fait injonction de cesser, pour l’avenir, la pratique consistant à mentionner dans les contrats conclus avec les fournisseurs certaines clauses, constitutives, selon lui, d’un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce (devenu article L. L. 442-1, I, 2° du même code).

 

De manière plus précise, selon le Ministre de l’Economie, la pratique prohibée est issue de l’article 2 de la convention d’affaires liant les distributeurs aux fournisseurs de la grande distribution, savoir :

 

« les clauses ci-dessous énumérées de manière non exhaustive seront exclues ou rediscutées d’un commun accord au motif qu’elles peuvent être considérées comme déséquilibrées et/ou abusives ou ne relèvent pas de la négociation commerciale et/ou relèvent d’un autre document signé par les deux parties… Il s’agit des clauses relatives :

 

  aux conditions particulières pour la passation et/ou l’acceptation des commandes,

 

  à l’exclusion des réserves si ces dernières ne sont pas mentionnées sur les bons de livraison,

 

  à des délais abusivement écourtés pour contester le bien-fondé ou le règlement d’une facture,

 

  à l’application des conditions générales de vente aux services rendus par les distributeurs,

 

  aux conditions logistiques incompatibles avec l’organisation du groupement,

 

  à l’exonération ou la limitation de responsabilité du fournisseur ».

 

En outre, l’article 4 de la convention précitée prévoit que le paiement par le fournisseur des factures vaut réalisation effective des obligations et services pour lesquels elles ont été éditées.

 

En première instance, les juges estiment que ces deux clauses même associées à l’inégalité entre centrale d’achat et fournisseur ne permet pas de démontrer l’existence d’un déséquilibre significatif.

 

II – LA CHARGE DE LA PREUVE DU DESEQUILIBRE SIGNIFICATIF

 

L’instance d’appel s’enrichit juridiquement via le levier procédural et notamment au regard de l’avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciale (CEPC) n° 15-23.

 

Il s’agissait pour la Cour d’appel de solliciter l’avis de la CEPC sur les dispositions d’un article d’une convention d’affaires au regard de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce (devenu article L. L. 442-1, I, 2° du même code) au terme duquel la CEPC estime qu’une telle clause est « fréquente dans les contrats prérédigés par les distributeurs ». Et de conclure, une telle clause n’est problématique que si elle intègre une convention déjà conclue, ce qui lui semble être au cas d’espèce puisque, dans cette situation, la clause autorise les parties et en particulier le distributeur, à modifier librement le contenu du contrat.

 

Par conséquent, la difficulté n’est pas liée à l’existence d’un déséquilibre significatif, mais à celui d’une « remise en cause du contrat signé entre les parties et de l’incertitude qui en découle du point de vue de la force exécutoire ».

 

Conséquence : rejet par les juges du second degré de la demande du Ministre de l’Economie aux motifs qu’il ne rapportait pas la preuve de l’existence d’un déséquilibre significatif.

 

S’en suit un pourvoi en cassation formé par Bercy reprochant à la Cour d’appel d’avoir inversé la charge de la preuve dès lors qu’elle a exigé que le Ministre prouve les « circonstances dans lesquelles les conventions annuelles avaient été signées par les différents fournisseurs » et négociées alors que, selon lui, cette démonstration appartenait aux distributeurs.

 

Question : la preuve d’une tentative de soumission ou d’une soumission à un déséquilibre significatif peut-elle uniquement résulter de la démonstration d’une asymétrie dans le rapport de force entre distributeurs et fournisseurs et de l’insertion de clauses contractuelles opérant un déséquilibre entre les droits et les obligations de chacune des parties ?

 

Retour aux fondements de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce qui dispose que :

 

« Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré́ de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

 

Il ressort de ce texte et de la jurisprudence y rattachée de la Chambre commerciale qu’il faut (i) démontrer l’existence d’un déséquilibre significatif, (ii) à charge pour le distributeur de démontrer le cas échéant que ce déséquilibre est contrebalancé par une négociation réelle ou encore par d’autres clauses. En d’autres termes, c’est uniquement en présence d’une tentative de soumission ou d’une soumission à un déséquilibre qu’il appartiendra ensuite au distributeur de démontrer qu’un rééquilibrage s’opère eu égard à l’économie générale du contrat.

 

En outre, le droit prétorien adopte une position constante depuis plusieurs années concernant la charge de la preuve en matière de déséquilibre significatif : la seule présence de clauses susceptibles d’initier une disproportion entre les droits et les obligations des parties ne permet pas, à elle seule, d’établir l’existence d’un déséquilibre significatif, encore faut-il démontrer que ces clauses déjà rédigées par le distributeur sont intangibles, c’est-à-dire exclusives de toute négociation effective.

 

Position reprise par la Cour de cassation saisie du pourvoi : « la soumission ou la tentative de soumission d’un fournisseur ou partenaire commercial, premier élément constitutif de la pratique de déséquilibre significatif, implique de démontrer l’absence de négociation effective des clauses incriminées ». Et de conclure, « si la structure d’ensemble du marché́ de la grande distribution peut constituer un indice de l’existence d’un rapport de force déséquilibré, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, ce seul élément ne peut suffire et doit être complété par d’autres indices ».

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Vivaldi Avocats