Source : Cass. com., 02 décembre 2008, n°08-10.731, publié au Bulletin
Aux termes de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la rupture d’une relation commerciale établie ne peut intervenir sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. L’auteur de la rupture d’une relation commerciale établie doit donc nécessairement respecter un préavis suffisant. Toutefois, le juge peut-il apprécier le caractère raisonnable ou non du préavis prévu dans un accord interprofessionnel ? Telle était la question posée à la chambre commerciale de la Cour de cassation dans cette affaire.
En l’espèce, un fabricant d’outillages spécialisés pour le bâtiment commercialise ses produits auprès d’une clientèle principalement constituée de réseaux de revendeurs pour le bricolage et de professionnels du bâtiment. Cette société depuis plus de trente ans, fournissait ainsi à la société Castorama des outils et accessoires pour la pose de carrelage et sanitaires. Début 2006, Castorama représentait 25 % du chiffre d’affaires du fabricant. Il fournissait également une autre société du même groupe, la société Brico-Dépôt, qui mettra néanmoins un terme à leurs relations commerciales.
Peu de temps après, la société Castorama informait, par lettre du 28 juin 2005, son partenaire de son intention de lancer un appel d’offres aux fins d’actualisation de sa gamme « outillage carrelage » et invitait ce dernier à soumissionner avant le 30 juillet 2005, ce qu’il a fait. Le 18 novembre 2005, la société Castorama lui annonçait sa décision de déréférencer sa gamme d’outillages à mains à compter du 1er septembre 2006 ; puis, le 02 mars 2006, l’informait que la totalité de ses produits cesseraient d’être référencés à l’expiration d’un délai d’un an conformément à ce que prévoyait l’accord interprofessionnel, soit à compter du 02 mars 2007.
Après avoir dénoncé le caractère brutal du déréférencement opéré par la société Castorama, consécutif à celui qui lui avait déjà été infligé par la société Brico-Dépôt, le fournisseur a assigné la société Castorama en réparation du préjudice lui ayant été causé par la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies avec sa cocontractante.
La Cour d’appel de DOUAI jugeant la rupture des relations commerciales brutale et abusive condamne la société Castorama à payer des dommages-intérêts à son cocontractant. Pour les juges du fond, en effet, l’existence d’un accord interprofessionnel ne dispense pas la juridiction d’examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par cet accord, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l’espèce.
En l’occurrence le délai prévu par l’accord interprofessionnel est jugé insuffisant, dans la mesure où la victime de la rupture se trouvait, pour la Cour, en situation de dépendance économique à l’égard des deux entités, juridiquement distinctes, avec lesquelles le fabricant était en relation d’affaires depuis de nombreuses années.
Au soutien de son pourvoi, la société Castorama reprochera aux juges du fond d’avoir considéré d’une part que la rupture était brutale alors même qu’elle s’était conformée au délai fixé par l’accord interprofessionnel et d’autre part que le fournisseur était en situation de dépendance économique en cumulant le poids commercial des sociétés Brico-Dépôt et Castorama.
La question essentielle était donc de savoir si la société Castorama en appliquant le délai fixé par l\’accord interprofessionnel pouvait néanmoins se voir reprocher une rupture brutale des relations commerciales.
La chambre commerciale de la Cour de cassation rejette les moyens relatifs à la contestation du caractère brutal de la rupture. La Haute juridiction considère, en effet, que les juges sont libres de rechercher si le délai de préavis retenu par un accord interprofessionnel est suffisant et raisonnable pour permettre au partenaire de trouver une solution alternative, autrement dit s’il tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l’espèce.
Un préavis de rupture d’une relation commerciale établie peut ainsi être jugé insuffisant quand bien même il respecterait le délai fixé par un accord interprofessionnel. En d’autres termes, le respect des dispositions des accords interprofessionnels ne confère pas automatiquement un caractère suffisant à la durée du préavis.
En conséquence, la société qui entendra à l’avenir mettre un terme à une relation commerciale établie avec un fournisseur sera désormais tenue d’apprécier si les circonstances nécessitent ou non d’allonger le délai de préavis.
Cette solution est bien entendu source d’insécurité juridique et peut surprendre tant au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation[1] qu’au regard de la légitimité d’un tel contrôle, le délai de préavis étant fixé collectivement pour une profession, en référence aux usages professionnels !
En l’espèce, le délai de préavis fixé par l’accord interprofessionnel a pourtant été jugé insuffisant par la Cour d’appel de DOUAI en raison de la situation de dépendance économique « collective », dans laquelle se trouvait la victime de la rupture.
Plus précisément, les juges douaisiens ont considéré que la gémellité des sociétés Brico-Dépôt et Castorama, appartenant au même groupe, devait être prise en compte dans l’examen de la situation de dépendance comme pour l’évaluation des conséquences de la rupture. Ce faisant, le poids de l’ensemble des sociétés Castorama et Brico-Dépôt représentaient début 2006, 41 % de l’activité totale du fournisseur.
La Cour de cassation censure sur ce point l’arrêt des juges du fond. « En se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que les sociétés Brico-Dépôt et Castorama n’étaient pas autonomes dans leurs relations commerciales avec [le fournisseur] ou qu’elles avaient agi de concert, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
L’appartenance à un même groupe ne permet pas de démontrer que les sociétés en cause n’étaient pas autonomes dans leurs relations commerciales ou qu’elles avaient agi de concert. La chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule ainsi l’arrêt des juges du fond mais seulement en ce qu’il a qualifié la rupture de brutale et d’abusive.
En conclusion, si les juges douaisiens entendaient reconnaître un état de « dépendance collective » à l’égard de plusieurs entités prises dans leur ensemble pour justifier l’allongement de la durée du préavis, encore fallait-il en déterminer les critères – ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, la Cour de cassation reprochant aux juges du fond d’avoir privilégié une approche simplement économique de la situation, dénuée de toute considération juridique.
Désignée dans une autre composition comme juridiction de renvoi, la Cour d’appel de DOUAI aura certainement la possibilité de préciser son raisonnement…
Servane MOREL
Juriste
[1] Cass. com., 22 janvier 2008 : Bull. civ. IV, n°12.