Vente d’un fonds de commerce, impossibilité d’exploiter les locaux et vices cachés

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Source : Cour d’appel de Paris, 10 novembre 2021, ch. 5-3, n°20/01441

 

I – Les faits

 

Dans les faits, une société preneur à bail commercial vend son fonds de commerce de « café, thé, chocolat, confiserie, épices et boissons, salon de dégustation et vente de vaisselles ». Plusieurs années après la première cession, le preneur en place cède son fonds de commerce. A la suite d’événements pluvieux, l’acquéreur du fonds constate divers dégâts rendant impossible l’exploitation d’une partie des locaux, en l’espèce le sous-sol, et ayant endommagé les denrées et marchandises qui y était entreposé.

 

L’acquéreur prend alors l’initiative de faire dresser un procès-verbal de constat et de saisir le juge des référés d’une demande d’expertise judiciaire.

 

Concomitamment à cette assignation à la requête de l’acquéreur, le bailleur fait signifier à l’acquéreur un commandement de payer visant la clause résolutoire puis l’assigne en paiement de l’arriéré locatif et aux fins d’expulsion. L’acquéreur sollicite quant à lui, par assignation distincte, une demande d’extension de la mission de l’expert à d’autres désordres affectant le tableau électrique.

 

Par une ordonnance commune, le juge des référés constate la résiliation du bail et la condamnation de l’acquéreur en paiement de l’arriéré locatif ainsi que d’une indemnité d’occupation jusqu’à la libération effective des lieux, ce que l’acquéreur fera peu de temps après la décision.

 

Le contentieux entre les parties ne cesse pour autant, puisque l’acquéreur évincé assigne son ancien bailleur et le vendeur du fonds de commerce en sollicitant notamment du tribunal la résolution de la cession aux torts du vendeur sur le fondement de la théorie des vices cachés, ainsi que la condamnation tant du bailleur que du vendeur au paiement de diverses sommes.

 

Le tribunal prononce la résolution de la cession du fonds de commerce aux tors du vendeur, lequel interjette appel.

 

II – Les moyens des parties

 

L’appelant (le vendeur) soutient dans ses conclusions :

 

  Qu’il n’existe aucun vice caché de nature à justifier la résolution judiciaire de la vente, les désordres allégués étant « extrêmement minimes et très facilement réparables » ;

 

  Que la chose vendue a été détruite par l’acquéreur, à raison de la fermeture injustifiée du magasin, avant d’intenter son action rédhibitoire.

 

Pour l’intimé (l’acquéreur), le seul fait pour l’appelant de ne pas avoir fait réaliser les travaux destinés à lever l’interdiction administrative pour défaut de conformité des locaux (sous-sol), était constitutif d’un vice caché. L’acquéreur se prévaut de l’expertise judiciaire qui a mis en évidence des difficultés affectant les locaux qui existaient antérieurement à la cession et qui étaient connus tant du cédant que du bailleur.

 

S’agissant du défaut de conformité constaté par l’administration, l’intimé reproche à l’appelant de ne pas avoir sollicité une dérogation suggérée par la Commission Départementale Accessibilité aux Personnes handicapées, préférant céder son fonds de commerce qu’il savait entaché de nombreux vices.

 

La question qui s’est donc posée à la Cour était de savoir si le fonds de commerce était ou non affecté de vices cachés, avec pour conséquence une impossibilité d’exploitation dans des conditions normales. L’existence de tels vices justifieraient la résolution de la cession du fonds.

 

III – Réponse de la Cour d’appel

 

III – 1. Sur l’existence de vices cachés

 

III – 11. L’impossibilité (matérielle) d’exploiter une partie des locaux

 

Aux termes de l’article 1641 du code civil :

 

« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ».

 

L’article 1642 du même code précise quant à lui que :

 

« Le vendeur n’est pas tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre lui-même ».

 

Et l’article 1643 précise :

 

« Il [le vendeur] est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie ».

 

Conformément à l’article L141-3 du code de commerce, le vendeur d’un fonds de commerce est tenu à la garantie des vices cachés.

 

Un vice caché est un vice inhérent à la chose, antérieur à la vente et non réparé. Il consiste dans un défaut suffisamment grave pour compromettre l’usage normal de la chose. En ce sens, dès lors que le défaut de la chose vendue rend celle-ci impropre à sa destination habituelle, le vice caché est constitué sans qu’il soit nécessaire d’établir si ce vice a déterminé le consentement de l’acheteur ; en revanche, la persistance du défaut, signe de sa gravité, caractérise la notion. Plus particulièrement, l’inexactitude des informations relatives au fonds cédé est assimilée à un vice caché[1].

 

Au cas d’espèce, la Cour relève que les coulées de boue affectant le sous-sol, en plus de remontées d’eaux usées au rez-de-chaussée et au sous-sol par les sanitaires et des infiltrations par la toiture de la cuisine, peu de temps après l’ouverture du commerce ont rendu le sous-sol inexploitable pour le public, affectant par ailleurs les diverses marchandises stockées.

 

Ces désordres ont été relevé par l’expert judiciaire et confirmés par des constats d’huissier.

 

La Cour relève que ces désordres constitue un premier vice caché, connu du vendeur lequel avait subi des dégâts similaires dans le passé, ce qu’avait reconnu bien ce dernier bien après la cession dans un courrier adressé à l’acquéreur (mais trop tard).

 

III – 12. L’impossibilité (juridique) d’exploiter une partie des locaux

 

La juridiction d’appel relève également un second vice caché du fonds de commerce vendu, constitué par l’impossibilité d’exploiter une partie des locaux par suite d’une décision de fermeture administrative , dont l’existence n’a pas été révélée à l’acquéreur.

 

En l’espèce, le vendeur avait utilisé le sous-sol comme salle de consommation recevant du public. Suite au passage de la Commission de sécurité, décision a été prise de fermer l’exploitation de la salle dans l’attente de la production d’une autorisation administrative permettant l’ouverture au public, sans que les démarches entreprises par le vendeur ne permettent de remédier à cette interdiction temporaire.

 

Ce manque de diligence est d’autant plus regrettable que l’accueil du public dans le sous-sol avait été présenté à l’acquéreur comme étant possible, en dépit de l’interdiction administrative. Cette impossibilité juridique de recevoir de la clientèle dans la cave affecte un élément déterminant pour l’exploitation du fonds, compromettant l’usage escompté du bien vendu.

 

Il en résulte donc un second vice caché affectant le fonds de commerce vendu.

 

III – 2. Sur l’action en résolution de la cession par l’acquéreur

 

La garantie des vices cachés offre à l’acquéreur le choix entre deux actions : l’une dite rédhibitoire et l’autre estimatoire.

 

En exerçant l’action rédhibitoire, l’acquéreur entend rendre la chose affectée d’un vice, de sorte qu’il cherche à obtenir l’anéantissement de la vente. C’est exactement l’action intenté par l’intimé dans notre cas d’espèce.

 

A l’inverse, en choisissant l’action estimatoire, en sachant que le choix de l’action appartient à l’acquéreur[2], celui-ci préfère conserver le bien vendu moyennant une restitution partielle du prix. Dans tous les cas, l’action estimatoire ne peut conduire qu’à une restitution partielle du prix de vente (il ne pourra pas être tenu du prix des éventuelles réparations par exemple) et à rien d’autre, si ce n’est les frais occasionnés par la vente[3].

 

Ce choix laissé à l’acheteur est codifié à l’article 1644 du code civil qui dispose qu’en cas de vices cachés :

 

« (…) l’acquéreur a la choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix ».

 

La Cour ajoute que : « La perte de la chose fait obstacle à la résolution de la vente, sauf si cette perte résulte du vice lui-même, ou sauf à rendre la chose en valeur, alors égale non pas au prix convenu mais à la valeur effective de la chose au jour de la vente ».

 

En pratique, les juges du fond peuvent, appréciant souverainement la gravité du vice, estimer que celui-ci n’est pas de nature à justifier la résolution de la vente, mais seulement à une réduction du prix[4].

 

La perte de la chose fait également obstacle à la résolution de la vente[5], à moins que cette perte ne soit la conséquence directe du vice caché[6].

 

En l’espèce, la fermeture du commerce et la résiliation judiciaire du bail ont entrainé la perte du fonds de commerce. La Cour relève que le commerce a également pu être partiellement exploité. Dans ces conditions, la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers ne semble pas directement liée aux vices cachés affectant le fonds de commerce. L’acquéreur se trouve donc dans l’impossibilité de restituer la chose, ce qui fait obstacle à l’action en résolution. En revanche, les vices cachés justifient la restitution d’une partie du prix. La Cour s’estimant insuffisamment informée pour apprécier l’étendue du préjudice, une expertise est ordonnée.

 

Il aurait été plus pertinent pour le Conseil de l’acquéreur d’agir sur le fondement de l’action résolutoire.

 

[1] Cass. civ 1ère, 3 juillet 1996, n°94-16196, FS – PB

 

[2] Cass. civ 3ème, 20 octobre 2010, n°09-16788, FS – PB

 

[3] Cass. civ 1ère , 6 avril 2016, n°15-12402, FS – PB

 

[4] Cass. civ 3ème, 25 juin 2014, n°13-17254, FS – PB

 

[5] Cass. civ 1ère, 12 janvier 1994, n°91-15825, FS – PB

 

[6] Cass. civ 1ère, 28 avril 1976, FS – PB

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