Une caméra installée captant l’image des personnes empruntant une servitude de passage constitue un trouble manifestement illicite
Source : Cass., 3ème Civ., 10 avril 2025, n°23-19.702
C’est ce qu’a décidé la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans cette décision intéressante, publiée au bulletin, comme suit :
« Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Papeete, 22 juin 2023), rendu en référé, M. [D] est propriétaire d’une parcelle cadastrée section AI-[Cadastre 2], contiguë à celle cadastrée section AI-[Cadastre 1], à usage de chemin.
2. Il a édifié un mur sur ce qu’il considérait être la limite séparative des deux parcelles et installé un dispositif de vidéo-surveillance sur sa propriété.
3. Se disant propriétaires indivis de la parcelle cadastrée section AI-[Cadastre 1], Mme [J] [B] [V], MM. [G] et [F] [B] [V], et Mme [X] [N] (les consorts [B] [V] – [N]) l’ont assigné en démolition du mur empiétant selon eux sur leur fonds, et enlèvement des caméras installées sur le aito surplombant leur propriété.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
(…)
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Les consorts [B] [V] – [N] font grief à l’arrêt de rejeter leur demande de retrait de la caméra de vidéo-surveillance fixée en hauteur et orientée dans la direction du chemin de servitude leur appartenant, alors « que le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté l’existence d’une caméra orientée vers le chemin de passage « commun à tout le voisinage », ce dont il résultait nécessairement l’existence d’un trouble manifestement illicite résidant dans l’atteinte à la vie privée des usagers de la servitude, en ce compris les consorts [B] [V] – [N] ; qu’en déboutant néanmoins ces derniers de leur demande de retrait du matériel de vidéo-surveillance, au motif inopérant que « s’agissant de couvrir le champ d’un chemin de passage qui est commun à tout le voisinage, il n’est pas démontré à hauteur de référé l’existence de ce fait d’un trouble anormal de voisinage ou d’une atteinte à la vie privée à l’égard des consorts [B] [V], la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 432 du code de procédure civile de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 9, alinéa 1er, du code civil, applicable en Polynésie française, et 432 du code de procédure civile de la Polynésie française :
6. Selon le premier de ces textes, chacun a droit au respect de sa vie privée.
7. Selon le second, le président peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
8. Pour rejeter la demande de dépose de la caméra de vidéo-surveillance installée par M. [D], l’arrêt retient que ce dispositif ne couvrant qu’un chemin de passage commun au voisinage, il n’est pas démontré, à hauteur de référé, l’existence de ce fait d’une atteinte à la vie privée des consorts [B] [V] – [N].
9. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la caméra installée permettait la captation de l’image des personnes empruntant le chemin litigieux, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, desquelles il résultait l’existence d’un trouble manifestement illicite, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande d’enlèvement des caméras installées sur le aito surplombant la parcelle cadastrée section AI-[Cadastre 1], l’arrêt rendu le 22 juin 2023, entre les parties, par la cour d’appel de Papeete ; »
En conséquence le juge des référés dès lors qu’il peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures qui s’imposent pour faire cesser ce trouble manifestement illicite, peut décider du retrait de la caméra en question.
Il était ici question de l’article 432 du code de procédure civile de la Polynésie française, mais l’article 835 du code de procédure civile prescrit également que :
« Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »