SOURCE : Cass com., 10 novembre 2015, n°14-18844
A trop vouloir obtenir la reconnaissance de la responsabilité du contractant indélicat, certains plaideurs en oublient de s’attacher à la détermination de leur préjudice, d’avantage par méconnaissance des dispositions de l’article 146 du Code de procédure civile que par laxisme.
Il résulte en effet de ces dispositions que le juge ne peut suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve en ordonnant une mesure d’instruction, ce que rappelle implicitement la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation dans la présente décision.
En l’espèce, deux sociétés se rapprochent aux fins d’arrêter les conditions d’une cession de clientèle.
Reprochant notamment à son cocontractant une rupture brutale des pourparlers, la société victime l’assigne en réparation de ses préjudices, comprenant des frais et la vaine mobilisation des ressources internes et externes pour mener à bien les pourparlers. Il ne documente cependant ses affirmations que par une note d’honoraires de son conseil, postérieure à la rupture.
La Cour d’appel de Paris retient que le cocontractant a engagé sa responsabilité au titre de la rupture brutale des pourparlers, mais déboute la victime de toute indemnisation en raison de l’absence totale de preuve du préjudice dont elle demande réparation. Pour les juges du fonds, la seule pièce versée aux débats relève de la justification des frais irrépétibles, et non du préjudice.
La victime s’est pourvue en cassation, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir procédé à la recherche du préjudice après avoir retenu la responsabilité du cocontractant. En d’autres termes, de ne pas avoir désigné expert avec mission de déterminer le préjudice subi, comme l’article 144 du Code civil le permet aux juridictions.
Le pourvoi est rejeté, la Haute juridiction approuvant sans surprise la décision de la Cour d’appel :
« Mais attendu qu’après avoir énoncé qu’en principe, le préjudice subi du fait de la rupture brutale des pourparlers est constitué des frais occasionnés par la négociation et les études préalables faites, la cour d’appel, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments soumis au débat contradictoire, a retenu, par une décision motivée, que la société Erad ne justifiait pas de l’existence du préjudice dont elle demandait réparation ; que le moyen, qui procède d’une dénaturation de l’arrêt, n’est pas fondé ».
La victime désemparée face à cette recherche de preuve aurait été plus inspirée de solliciter la désignation d’un expert sur le fondement des dispositions de l’article 145 du CPC, avec mission de déterminer l’étendue de son préjudice… et d’éviter ainsi son désarroi.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats