Source : Tribunal judiciaire de Paris, 17ème Ch. Presse-civile, jugement du 30 juin 2021
En 2009, le journal 20 MINUTES avait publié sur son site Internet un article rapportant la condamnation d’un dirigeant d’un club sportif sur le fondement de complicité d’abus de confiance, recel d’abus de confiance et abus de bien sociaux.
En 2019, la personne condamnée mettait en demeure ce journal de supprimer l’article, ou à tout le moins de l’anonymiser, s’appuyant sur le droit au déréférencement et le droit d’opposition définis dans le RGPD.
Si le journal mettait à jour son article, il refusait de le retirer ou de l’anonymiser.
C’est dans ces conditions que l’ancien dirigeant assignait le quotidien en justice, arguant de son droit d’opposition et son droit à l’oubli en application respectivement des dispositions des articles 17 et 21 du RGPD, et 82 de la loi Informatiques et Libertés.
Le journal opposait quant à lui son droit à la liberté d’information, étant ici rappelé qu’en application de l’article 17-3 du RGPD, le droit à l’oubli et le droit d’opposition doivent être théoriquement écartés dès lors que le traitement en cause est nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression.
Dans son jugement du 30 juin 2021, le Tribunal judiciaire de Paris rappelle que le droit à l’effacement ne constitue pas un droit absolu, les éditeurs de presse bénéficiant du régime dérogatoire précité, prenant en compte le caractère essentiel de leur activité dans le cadre de la préservation de la liberté d’expression et d’information.
Il rappelle également que l’activité de presse n’est pas assimilable à celle d’un moteur de recherche, consistant pour les premiers cités à publier de l’information et non à la repérer.
Quant au droit d’opposition, le Tribunal estime que « sa mise en œuvre ne doit pas, quant à elle, conduire à restreindre de façon excessive la liberté de la presse et de façon générale l’intérêt légitime poursuivi par un organe de presse, à savoir informer le public ».
Concernant la demande d’anonymisation de l’article, le tribunal estime que cette mesure « serait de nature, compte tenu de son objet étroitement lié à la condamnation et aux circonstances de son prononcé, à faire perdre pour le public tout intérêt à l’article en cause, et excéderait dès lors les restrictions pouvant être apportées à la liberté de la presse ».
Quant à l’objection du caractère ancien de l’information, le tribunal estime qu’en « mettant en ligne leurs archives via un site internet permettant la consultation d’articles plus anciens, est aussi de participer à la formation de l’opinion démocratique et de permettre au public, à cette fin, d’être informé non seulement des évènements d’actualité, mais aussi d’informations plus anciennes conservant une pertinence au regard du sujet d’intérêt général évoqué dans l’article en cause, tel que cela a déjà été indiqué ».
Il en conclut que « l’article ne constitue pas, contrairement à ce que soutient le demandeur, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée qui serait de nature à remettre en cause ce constat dès lors d’une part que la condamnation pénale évoquée dans l’article a déjà été prononcée en audience publique et a fait l’objet de divers articles de presse, ce qui est de nature à relativiser l’atteinte éventuellement portée par son rappel dans l’article, qu’il n’est d’autre part pas justifié d’une diffusion importante dudit article. »
En effet :
« Le droit à la protection des données personnelles ne peut en effet être interprété comme un droit à faire disparaître à première demande des contenus médiatiques publiés sur internet, indépendamment d’un abus de la liberté d’expression et des règles de procédure destinées à protéger cette liberté fondamentale, dans la mesure où ils constituent un vivier d’informations à disposition des internautes devant pouvoir faire des recherches y compris sur des évènements passés ».
En conséquence, le droit à l’oubli ne pouvant empêcher le journal 20 MINUTES de diffuser un article rapportant une condamnation pénale, l’ex-dirigeant est ainsi débouté de ses demandes de suppression et d’anonymisation de l’article litigieux.
Nul doute que les débats vont se poursuivre dans le cadre de recours : affaire à suivre donc.