Chacune devant restituer à l’autre, ce qu’elle a, le cas échéant reçu d’elle[1]. Bien entendu, le locataire ne peut pas rendre en nature la prestation qu’il a reçue. Il la restitue par équivalent en versant au bailleur une indemnité d’occupation en contrepartie de la jouissance des locaux[2]. Encore faut-il que le locataire ait bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle …
SOURCE : Cass. civ 3ème, 3 novembre 2021, n°20-16334, FS – B
I – Les faits
Dans les faits, une SCI propriétaire de locaux donnés à bail commercial à destination de « traiteur, restaurant, bar » délivre à cette dernière un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire inscrite au bail. En retour, la société preneur à bail assigne le bailleur en opposition au commandement de payer, en annulation du bail commercial, et en indemnisation de son préjudice. En appel, le bailleur sollicite, à titre reconventionnel et subsidiaire, une indemnité d’occupation.
II – La procédure devant la Cour d’appel
La Cour d’appel condamne le bailleur au paiement d’une certaine somme, en l’espèce 130 000 €, à titre de dommages et intérêts aux motifs que celui-ci « a commis une faute en consentant un bail sur un local impropre à sa destination contractuelle, et en n’attirant pas l’attention du locataire sur l’insuffisance du réseau d’évacuation usées ».
Pour la Cour d’appel, le préjudice en lien de causalité avec cette faute « est constitué par l’engagement, [par le locataire] de dépenses pour démarrer son exploitation ». Elle retient à ce titre que le locataire a notamment « alloué la somme de 100 000 € correspondant au montant emprunté pour financer les dépenses afférentes aux travaux d’aménagement, à l’amélioration et à la réparation du fonds de commerce ».
Au titre de l’appel incident, les juges du fond condamnent le locataire au paiement d’une indemnité d’occupation en jugeant que celui-ci était redevable du paiement d’une indemnité d’occupation « peu important qu’elle [il] n’ait pu exploiter les locaux pris à bail, la bailleresse [le bailleur] ayant été privée de la jouissance de son bien jusqu’à la remise des clés ».
III – Les moyens des parties
Le bailleur fait grief à l’arrêt de le condamner au paiement d’une somme au titre de dommages et intérêts aux motifs que seules les dépenses réellement engagées [par le locataire] pouvaient être prises en compte, et non l’intégralité des sommes empruntées.
Dans son pourvoi incident, le locataire fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au bailleur une certaine somme à titre d’indemnité d’occupation alors « qu’en cas d’annulation d’un bail commercial pour erreur sur la substance du fait que le bailleur l’a consenti sur un local impropre à sa destination contractuelle, le locataire qui, pour une raison indépendante de sa volonté, n’a pu bénéficier de la jouissance des lieux loués en raison de leur caractère inexploitable, n’a pas à verser d’indemnité d’occupation ».
IV – Solution de la Cour de cassation
IV – 1. Sur le pourvoi principal
S’agissant du pourvoi principal, la Haute juridiction censure l’arrêt rendu pour défaut de base légale, au visa de l’article 1382 du Code civil, devenu 1240 depuis l’ordonnance du 10 février 2016, et du principe de la réparation intégrale du préjudice.
Ce principe signifie que « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit »[3]. Il s’agit de la stricte application du principe indemnitaire de la responsabilité civile qui consiste à replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute alléguée n’avait pas été commise[4]. C’est ce principe qui permet d’éviter un enrichissement sans cause de la victime.
Au cas qui nous préoccupe, les juges du fond aurait dû rechercher le montant des dépenses financées par le prêt afférentes aux travaux d’aménagement, à l’amélioration et à la réparation du fonds de commerce. Retenir la totalité du montant du prêt, sans vérifier son utilisation effective, conduirait à un enrichissement sans cause possible du locataire.
IV – 2. Sur le pourvoi incident
L’apport principal de cet arrêt concerne le pourvoi incident formé par le locataire en suite de l’annulation du contrat de bail pour erreur sur la substance du fait de la délivrance d’un local impropre à sa destination contractuelle, et de sa condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation au bailleur.
Il résulte des dispositions de l’article 1178 du code civil :
« Un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d’un commun accord.
Le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé.
Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.
(…) ».
Il résulte de ce texte que l’annulation d’un bail commercial entraine l’anéantissement rétroactif de tous les effets que le bail a produits dans les rapports entre les parties : celui-ci est censé ne jamais avoir existé. En d’autres termes, le bail est privé de toute efficacité juridique tant pour l’avenir que pour le passé.
Compte tenu du caractère rétroactif de la nullité du bail, les parties au contrat doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat, chacune devant restituer à l’autre ce qu’elle a, les cas échéant reçu d’elle[5].
En cas d’annulation du bail, le bailleur doit restituer au locataire les loyers et autres sommes perçus. En revanche, le locataire ne peut pas rendre en nature la prestation qu’il a reçue, il doit alors la restituer par équivalent en versant au bailleur une indemnité d’occupation en contrepartie de la jouissance des locaux[6].
Comme le souligne encore la troisième chambre civile dans l’arrêt commenté : « en cas d’annulation d’un bail pour un motif étranger au comportement du preneur, l’indemnité d’occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux ». Encore faut-il que le preneur ait pu jouir des locaux…
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser dans un arrêt du 21 février 2019[7] que le fait qu’un locataire ne profite pas de manière effective des locaux mis à disposition n’a aucune incidence sur le versement d’une indemnité d’occupation. Alors que juges du fond avaient rejeté toute demande d’indemnisation aux motifs que le preneur n’avait pas exploité les locaux dans l’attente de l’issue de la procédure en nullité du bail, la troisième chambre civile a retenu que le locataire avait bien bénéficié de la jouissance des locaux pendant quinze mois après la conclusion du bail. Rien n’empêchait le preneur d’utiliser les locaux.
Au cas qui nous préoccupe, le locataire fait grief à l’arrêt de le condamner au versement d’une indemnité d’occupation alors que celui-ci n’a pu jouir des locaux comme étant impropres à leur destination contractuelle. Autrement dit, ce n’est pas le choix du preneur de ne pas les utiliser volontairement, l’activité de « traiteur, restaurant, bar » ne pouvait manifestement être exercée en l’absence d’un réseau d’évacuation des eaux usées.
C’est donc à bon droit que la Cour de cassation censure l’arrêt rendu aux motifs que « le locataire n’a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n’est pas redevable d’une indemnité d’occupation ».
[1] Article 1178 alinéa 3 du Code civil
[2] Cass. civ 3ème, 24 juin 2009, n°08-12251, FS – PB
[3] Cass. civ 3ème, 12 janvier 2010, n°08-19224, Inédit
[4] Cass. civ 1ère, 17 juillet 1996, n°94-18.181, FS – PB
[5] Article 1178 alinéa 3 du Code civil
[6] Cass. civ 3ème, 24 juin 2009, 08-12.251, FS – PB
[7] Cass. civ 3ème, 21 février 2019, n°18-11109, Inédit