Dans un arrêt du 12 juin 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que le juge doit examiner d’office les clauses abusives d’un contrat, même si cet examen n’a pas été fait auparavant. Cette obligation s’applique notamment au stade de l’exécution forcée du contrat ou lors de l’admission au passif dans une procédure collective.
Civ. 2ème, 12 juin 2025, n° 22-22.946
I –
En l’espèce, un particulier avait souscrit un prêt immobilier libellé en francs suisses auprès d’une banque, garantie par une hypothèque. Par suite d’un défaut de paiement, la banque a engagé une saisie immobilière pour réaliser l’hypothèque et recouvrer sa créance.
Plus tard, l’emprunteur a été placé en liquidation judiciaire. Contestant certaines clauses du contrat de prêt, qu’il considérait comme abusives au regard de la directive européenne 93/13/CEE et des dispositions du code de la consommation français, l’emprunteur a demandé leur annulation.
Un premier jugement, rendu en décembre 2019, a déclaré ces demandes prescrites, et cette décision est devenue définitive faute d’appel.
Parallèlement, lors de la procédure collective, la banque a vu sa créance admise en privilège par le juge-commissaire en novembre 2019. L’emprunteur a contesté cette décision en appel, soutenant à nouveau le caractère abusif des clauses litigieuses.
La cour d’appel de Toulouse a toutefois estimé que la décision de décembre 2019 faisait autorité de la chose jugée, empêchant toute remise en cause des clauses au cours de la procédure collective.
Le débiteur s’est alors pourvu en cassation. Dans son arrêt du 12 juin 2025, la Cour de cassation a cassé la décision, estimant que le juge doit pouvoir examiner d’office les clauses abusives même si une décision antérieure les avait déclarées irrecevables, notamment en phase d’exécution forcée ou de procédure collective. Cette décision a un impact important pour les praticiens en voies d’exécution et en droit des procédures collectives.
L’arrêt s’inscrivait donc dans le contexte délicat de la confrontation de la lutte contre les clauses abusives et de l’autorité de la chose jugée attachée à une décision.
II –
Pour rappel, la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 vise à protéger les consommateurs contre les clauses abusives dans les contrats conclus avec des professionnels. Une clause est abusive si, contrairement à la bonne foi, elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur.
En droit français, cette directive a été transposée dans le Code de la consommation, notamment à l’article L. 212-1 (anciennement L. 132-1), qui interdit les clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. Ces clauses sont réputées non écrites, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas d’effet juridique.
Le juge doit contrôler d’office la présence éventuelle de telles clauses abusives, même si la partie ne les soulève pas expressément. Ce contrôle peut intervenir à tout stade de la procédure, y compris en exécution du contrat ou dans le cadre d’une procédure collective.
Cette protection vise à garantir un équilibre contractuel minimum et à éviter que le consommateur soit lié par des clauses manifestement injustes ou disproportionnées.
III –
L’arrêt commenté réaffirme la jurisprudence issue de l’arrêt Banco Primus et de l’avis de la Cour de cassation du 11 juillet 2024, selon laquelle l’autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle à ce que le juge examine, d’office ou à la demande des parties, le caractère abusif d’une clause contractuelle, même au stade d’une mesure d’exécution forcée ou d’une procédure collective, à condition que cet examen n’ait pas déjà été effectué lors d’une décision antérieure revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Cette exigence confirme et étend la portée de la protection offerte aux consommateurs, notamment en renforçant le principe d’effectivité issu du droit européen.
En l’espèce, un jugement de 2019 avait déclaré prescrites les demandes tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses litigieuses, alors même que la jurisprudence constante rappelle que le caractère abusif, et sa conséquence d’être réputé non écrit, est imprescriptible. L’emprunteur avait tenté de faire appel de ce jugement, mais la procédure collective avait rendu son appel irrecevable, faute de représentation adéquate, ce qui illustre une opportunité manquée de corriger cette situation.
Cette évolution jurisprudentielle marque un effritement progressif de l’autorité de la chose jugée en matière de clauses abusives, afin de garantir une protection réelle et effective du consommateur, qui peut donc soulever cette question tardivement dans la procédure, sous réserve que le contrôle n’ait pas déjà été exercé. Cela traduit un alignement fort avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui impose au juge national un contrôle strict des clauses abusives.
La deuxième chambre civile rappelle que l’examen du caractère abusif d’une clause doit être effectué dès lors qu’aucune juridiction ne l’a encore réalisé, même au stade de l’exécution forcée ou d’une procédure collective. En revanche, si une décision a déjà statué sur le fond, l’autorité de la chose jugée s’oppose à toute réouverture.
Ce principe, confirmé par la CJUE, garantit la sécurité juridique tout en laissant une « bombe à retardement » pour les clauses non contrôlées, renforçant ainsi la portée de la directive 93/13/CEE.