I –
VIVALDI CHRONOS avait déjà abordé le débat dans un article publié le 26 janvier 2022, intitulé « déséquilibre significatif dans une relation contractuelle : tout le monde ne peut pas l’invoquer »[1].
Ainsi, l’article faisait-il la différence entre l’examen des clauses abusives dans les relations entre un professionnel et un consommateur, visées par les articles L.212-1 et suivants et L.241-1 et suivants du Code de la Consommation, les relations commerciales entre deux professionnels, telles que reprises aux dispositions de l’article L.442-1 du Code de Commerce (ex L.442-6-1 du Code de Commerce) ; déséquilibre significatif qui ne pouvait, selon l’avis de la rédaction, ne concerner que les relations entre professionnels visées à l’article 1671du Code Civil issues de l’Ordonnance du 10 février 2016[2] qui a réformé le droit des contrats.
Sur un plan juridique, le large spectre créé par les textes posés par le Code de la Consommation, le Code Civil et le Code de Commerce, n’intègre pas la totalité des opérations juridiques.
Ainsi, par exemple, il a déjà été jugé par la Haute Cour que n’’étaient pas soumis aux dispositions de l’article L.442-1 (ex L.442-6-1) du Code de Commerce :
Les relations avec les établissements bancaires et financiers[3];
Les rapports entretenus par une société coopérative de commerçants détaillants avec ses adhérents[4];
Les modalités de retrait du membre d’un groupement d’intérêts économiques prévues par les contrats constitutifs ou par une clause du règlement intérieur de ce groupement[5];
Un contrat de bail commercial, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une activité de production, de distribution et de services[6];
étant précisé qu’à l’exception de la dernière référence, VIVALDI-AVOCATS éditeur de Chronos est intervenu en qualité de Conseil d’une des parties au litige.
II –
Telle était la position de la Doctrine à laquelle VIVALDI-CHRONOS se rangeait avant la publication de l’Arrêt commenté qui peut se résumer par son titrage ainsi rédigé :
« L’article 1171 du Code Civil, interprété à la lumière des travaux parlementaires de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, ratifiant l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, s’applique aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu’ils ne relèvent pas de l’article L.442-6- I,2 (lire aujourd’hui L.442-1) (…) tels que les contrats de locations financières conclus par les établissements de crédit et sociétés de financement, lesquels, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexe, définies à l’article L.311-2 du Code Monétaire et Financier ne sont pas soumises aux textes du Code de Commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence ».
Que doit-on retenir de ce principe :
Toute relation contractuelle, dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre spécifique du Code de la Consommation relatif à des rapports entre un professionnel et un consommateur, doit pouvoir être appréciée au regard du déséquilibre significatif. Soit (i) ce déséquilibre significatif peut être examine à l’aune de l’article L.442-1 du Code de Commerce, soit (ii), si cela n’est pas possible, et peu importe que cette convention vise une personne désignée par le Code de Commerce, les dispositions du Code Civil visées à l’article 1171 du Code Civil s’appliquent.
En statuant ainsi, au motif d’une interprétation théologique de la loi, la Cour de Cassation ferme définitivement les exclusions qu’elle consacrait dans certaines situations contractuelles, et notamment celles visées supra.
Ainsi, par exemple, pour se référer à un exemple pratique, un webdesigner sera-t-il soumis, avec son client cocontractant, au déséquilibre significatif de l’article L.442-1, alors que le banquier qui finance l’opération en rachetant le contrat signé entre le client et le webdesigner, jusqu’alors exclu du débat sur le déséquilibre significatif, devra y répondre, non pas au visa du Code de Commerce précité, mais de l’article 1171 du Code Civil.
La Cour de Cassation, au visa du même article 1171 du Code Civil, aurait très bien pu juger le contraire. La décision s’inscrit dans le cadre d’une politique judiciaire qu’il convient de respecter, en ce qu’elle consiste à réintégrer, dans le débat judiciaire, certaines opérations qui en étaient naturellement exclues.
Pour autant, toutes les opérations, entre professionnels, ne rentreront pas, alternativement, dans le cadre des dispositions du Code de Commerce ou du Code Civil. Ainsi, pour reprendre deux des quatre exemples cités ci-avant, la rupture des relations entre une coopérative et un de ses adhérents répond au dispositif spécifique régissant les coopératives commerciales. Une réponse similaire doit être apportée en ce qui concerne le retrait d’un membre de groupement d’intérêts économiques.
Ainsi s’ajoute l’effet, tout relatif, de l’intégration, notamment au cas d’espèce, des établissements financiers dans le périmètre de l’article 1171 du Code Civil, puisque la Cour de Cassation, tout en jugeant que l’établissement financier était bien soumis aux dispositions de l’article 1171 du Code Civil (ce que celui-ci contestait), rejette l’argumentation du demandeur au motif que le déséquilibre significatif, caractérisé par un défaut de réciprocité, ne pouvait être justifié par la nature des obligations respectives des parties. En l’espèce, la Cour de Cassation, pour donner raison à la société financière, admet, qu’eu égard au caractère purement financier de son intervention, le loueur exécute instantanément l’intégralité de ses obligations mises à sa charge en réglant immédiatement au fournisseur le prix des biens commandés par le locataire et en le mettant à la disposition de ce dernier, si bien que, seul le locataire reste ensuite tenu jusqu’au terme du contrat d’obligation susceptible d’être sanctionné par une clause résolutoire.
[2] Ordonnance 2016-131 du 10 février 2016
[3] Cass. Com. 15 janvier 2021 n° 18-10-512 FS-PB
[4] Cass. Com. 18 octobre 2017 n° 16-18.875 F-PB
[5] Cass. Com. 11 mai 2017 n° 14-29.717 FS-PBIR