Délai des poursuites disciplinaires

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

 Une réponse ministérielle récente de Mme LEBRANCHU, Ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique (Question écrite n° 4246, JO Sénat du 30 mai 2013), pourrait amener à considérer que, sur le terrain de la prescription, les règles du droit du travail –  et donc du  droit privé – exercent une influence sur le droit de la fonction publique.

 

Selon  M. Roland POVINELLI, sénateur PS des Bouches-du-Rhône, la situation de la fonction publique territoriale peut apparaître, aujourd’hui, comme anormale car on peut estimer que l’agent peut bénéficier d’un « droit à l’oubli » concernant des fautes qu’il a pu commettre à l’occasion de son travail.  Pour ce sénateur, « il semblerait préférable que soit fixé un délai précis entre le moment où l’autorité territoriale a connaissance de faits commis par son agent susceptibles de donner lieu à sanction disciplinaire et le moment où elle décide de lui infliger une telle sanction ». Il suggère ainsi de reprendre le délai de deux mois applicable dans le secteur privé mais considère qu’un délai plus long, de quatre mois, identique à la période de suspension, pourrait être aussi proposé.

 

Dans sa réponse, Mme la Ministre LEBRANCHU rappelle que s’agissant de la fonction publique territoriale, comme d’ailleurs des deux autres fonctions publiques, aucun texte n’enferme dans un délai déterminé l’exercice de l’action disciplinaire, ni même ne fait obligation à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire d’engager une telle procédure. Elle précise, néanmoins, ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille en date du 13 décembre 2011, que l’autorité investie du pouvoir disciplinaire doit respecter un délai raisonnable entre le moment où elle a connaissance de faits commis par son agent, susceptibles de donner lieu à sanction disciplinaire, et le moment où elle décide de lui infliger une telle sanction.

 

Mme LEBRANCHU précise que la fixation d’un délai déterminé supposerait une disposition législative. Elle indique, en termes de droit prospectif, que le gouvernement envisage l’insertion d’une telle disposition dans un projet de loi à venir relatif à la fonction publique, sans toutefois  énoncer quelle durée figurerait dans le projet de loi.

 

Quelle serait la pertinence d’une telle loi et aurait-elle pour effet, réellement, de rapprocher la situation des fonctionnaires de celle des salariés assujettis au droit du travail ?

 

Quant à l’opportunité d’une telle disposition législative, il est possible de considérer qu’elle correspondrait à une amélioration de la sécurité juridique pour au moins deux raisons.

 

Tout d’abord, et sur le principe, même si Mme la Ministre se réfère à une  règle prétorienne selon laquelle l’autorité investie du pouvoir disciplinaire doit respecter un délai raisonnable entre le moment où elle a connaissance de faits commis par son agent, susceptibles de donner lieu à sanction disciplinaire, et le moment où elle décide de lui infliger une telle sanction, il demeure que cette règle n’est pas une composante parfaitement établie du droit positif.

 

On pourrait objecter qu’ajouter une  telle disposition au corpus législatif serait inutile et nourrirait, par surcroît, le phénomène délétère d’inflation du droit ; d’ailleurs, la règle a  été rappelée récemment par la même Cour administrative de MARSEILLE, dans un arrêt du 12 mars 2013 (CAA MARSEILLE, 8ème chambre – formation à 3, 05/03/2013, 12MA02882, Inédit au recueil Lebon). Mais il demeure que le principe du délai de poursuite disciplinaire du fonctionnaire n’a jamais été consacré par le Conseil d’état.

 

On pourrait aussi objecter que la réponse ministérielle de Mme LEBRANCHU suffit à conférer une véritable normativité à ce principe. Ce serait toutefois oublier que les avis ministériels, de même que les travaux préparatoires, n’ont en tant que tels aucune valeur normative. Les données qui se situent en amont (travaux préparatoires) comme  en aval (réponse ministérielle) d’un texte de loi, n’ont pas la valeur de droit positif (Cf. pour rappel du principe, CAA MARSEILLE, 4ème chambre-formation à 3, 07/02/2012, 09MA01167, Inédit au recueil Lebon : « sans qu’il soit besoin de se référer aux travaux parlementaires dont est issu l’article 35 de la loi du 30 décembre 2000, dépourvus de valeur normative, ni aux réponses ministérielles » ; sur les travaux préparatoires, cf. l’étude fondamentale de Ph. GERARD « Limites du recours aux travaux préparatoires dans l’application de la loi », note sous Cass. 2e civ. 16 avr. 1980, Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1981, n° 6, p. 215-231. 1118 ; cf. aussi  en ce sens, les développements éclairants de PESCATORE, Introduction à la science du droit, Luxembourg, Office des imprimés de l’état, 1960, p. 340 : « Les opinions exprimées dans ces documents ou au cours des travaux parlementaires ou au cours des débats parlementaires représentent souvent des vues personnelles, ou les vues d’un seul parti politique, mais non d’une majorité. »).

 

Une règle de droit écrit, législative, aurait donc pour premier mérite de graver dans le marbre cette règle protectrice du fonctionnaire.

 

Ce premier gain en termes de sécurité juridique ne serait pas le seul. La fixation d’un délai précis dans la loi permettrait de retirer l’aléa lié à l’appréciation, par le juge administratif, du caractère raisonnable du délai. La substitution d’un délai précis, par nature uniforme et porteur de prévisibilité, à un standard juridique, en l’espèce celui de délai raisonnable, est on le sait une tendance assez clairement à l’œuvre dans la législation contemporaine. Il n’est que de se référer à l’article 1648 du Code civil modifié par l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur, dans lequel ne figure plus la notion « floue » de bref délai, mais un délai de deux ans.

 

D’ailleurs, pour en revenir au droit disciplinaire, l’article  L. 1332-4 du Code du travail [Anc. art. L. 122-44, al. 1.]  prévoit qu’ « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales ».

 

La fixation d’un délai dans la loi pour les poursuites disciplinaires du fonctionnaire aboutirait-elle pour autant, véritablement, sur ce point, à un véritable droit commun disciplinaire, appelé de leurs vœux par certains (Cf. sur le sujet : P. ANCEL et J. MORET-BAILLY, Vers un droit commun disciplinaire ?, Publications de l’Université de Saint-Etienne Jean Monnet, 2007) ?.

 

Il est permis d’en douter. En effet, le délai de deux mois prévu en droit du travail concerne le déclenchement des poursuites disciplinaires et non le prononcé de la sanction (Cass. soc. 17 déc. 1987: Bull. civ. V, n° 741). Autrement exprimé, l’article  L. 1332-4 du Code du travail n’exige pas que la sanction soit prise par le chef d’entreprise dans le délai de 2 mois mais seulement que les poursuites disciplinaires soient engagées dans ce délai.

 

Or, si le gouvernement entendait établir un projet de loi sur la base de la jurisprudence dessinée par la Cour administrative de Marseille et rappelée par Mme LEBRANCHU dans sa réponse ministérielle, les termes seraient alors différents de ceux du Code du travail. Il ne suffirait pas que les poursuites soient engagées,  il serait impératif que la décision de sanction soit prise dans un délai de deux mois.

 

Il y a lieu de considérer que rien ne justifie, a priori, que le « droit à l’oubli » du fonctionnaire soit plus favorable que celui accordé au salarié  et d’espérer que le projet de loi n’établisse pas une telle différenciation, qu’il puisse constituer, sur cette question, un véritable « Droit commun disciplinaire ».

 

 

Stéphanie TRAN

VIVALDI Avocats

 

 

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