De l’usage du nom patronymique en droit des marques

Vianney DESSENNE
Vianney DESSENNE - Avocat

Source : Cour de Cassation, Audience publique du 17 mars 2021

 

L’usage de noms patronymiques à titre de marque est fréquente, on peut citer à titre d’exemple les 3 marques principales de voitures françaises (Renault, Peugeot et Citroën) ou encore Cartier.

 

Elle est cependant à l’origine de nombreux litiges, l’affaire exposée ci-après en témoigne.

 

La société POILANE est titulaire de la marque « POILANE » déposée auprès de l’INPI le 4 décembre 1974 et désignant à l’enregistrement les produits suivants : pains, biscuits, gâteaux, pâtisseries et confiseries.

 

La société JULIEN POILANE, boulanger et pâtissier à Lyon, exploite la marque « MAX POILANE », enregistrée postérieurement.

 

Cette dernière marque avait fait l’objet d’un premier contentieux visant à son annulation dans le commerce du pain et de l’activité de boulangerie,

 

Un arrêt du 9 décembre 1992, devenu irrévocable, avait rejeté cette demande d’annulation et circonscrit son exploitation en ces termes : « Dit que Monsieur Max P. et la Sarl Max POILANE ne pourront employer pour un usage commercial le patronyme POILANE à titre de marque, dénomination sociale, nom commercial ou enseigne et dans leurs papiers d’affaires et publicités et emballages, qu’en le faisant précéder immédiatement sur la même ligne du prénom MAX dans les mêmes caractères de mêmes dimensions de même couleur et de même tonalité, et en y ajoutant immédiatement en dessous en caractères lisibles l’adresse ou les adresses de leurs établissements ».

 

Pour autant, le litige n’était pas clos, la société POILANE revenant à la charge deux décennies plus tard en demandant en justice l’interdiction de toute exploitation de la dénomination « POILANE », notamment sous les formes « JULIEN POILANE » ou « MAX POILANE », la requérante reprochant à la société JULIEN POILANE de faire un usage non conforme aux termes de l’arrêt précité et de se livrer à des actes de contrefaçon.

 

Elle faisait valoir que le caractère notoire et antérieur de la marque « POILANE » était nécessairement exclusif de la bonne foi invoquée en défense par la société JULIEN POILANE qui excipait effectivement de l’exception d’homonymie définie à l’article L.713-6.a) du Code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable aux faits suivant laquelle :

 

« L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme :

 

a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique. »

 

Dans son arrêt attaqué du novembre 2018, la Cour d’appel de Lyon déboutait la société POILANE de ses demandes, celle-ci formant alors un pourvoi en cassation en soutenant que pour que l’exception d’homonymie puisse jouer, il est nécessaire que le titulaire du patronyme identique ou similaire à la marque exerce, à l’intérieur de la personne morale, de réelles fonctions de contrôle et de direction et que la preuve de celle-ci n’était pas rapportée.

 

Dans son arrêt du 17 mars 2021 (pourvois n°18-26.388 et 19-16.688), la Cour de cassation relève que les statuts de la société JULIEN POILANE et son immatriculation au registre du commerce et des sociétés font apparaitre que Monsieur Julien POILANE est l’actionnaire majoritaire et le président de cette société.

 

Il est également précisé que les propres pièces de la société POILANE établissent que Monsieur JULIEN POILANE exerce réellement des fonctions de contrôle et de direction au sein de la société du même nom et que rien ne permet d’affirmer qu’il a agi comme prête-nom en vue de permettre à celle-ci d’utiliser frauduleusement le patronyme « POILANE » dans sa dénomination sociale.

 

Elle en conclut que la société JULIEN POILANE avait, de bonne foi, utilisé le patronyme de son dirigeant, de sorte qu’elle était fondée à invoquer l’exception d’homonymie prévue par l’article L.713-6.a) du Code de la propriété intellectuelle.

 

La Cour de cassation confirme donc le principe suivant lequel le dépôt d’un nom patronymique présentant une homonymie est donc possible dès lors que la bonne foi est démontrée.

 

Cet arrêt permet de rappeler qu’en en matière d’enregistrement de noms patronymiques, leur dépôt à titre de marque est possible, sous réserve de vérifier et respecter, classiquement, les potentielles marques antérieures existantes et de se montrer distinctifs par rapport aux produits ou services visés à l’enregistrement.

 

Il convient également de ne pas perdre de vue l’article L.711-4.g) du Code de la propriété intellectuelle suivant lequel :

 

« Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment :

 

g) Au droit de la personnalité d’un tiers, notamment à son nom patronymique, à son pseudonyme ou à son image. »

 

En application de cette disposition, il est parfaitement établi que :

 

« si le nom patronymique d’une famille donne à ses membres le droit de s’opposer à toute appropriation indue par un tiers au même titre de nom patronymique, il est nécessaire (…) lorsque le nom est utilisé à des fins commerciales ou publicitaires, que le demandeur justifie de l’existence d’une confusion à laquelle il a intérêt à mettre fin »

 

En conséquence, un nom patronymique peut constituer une antériorité opposable dans l’hypothèse où son titulaire démontre que la reprise de son patronyme en tant que marque est susceptible de créer une confusion qui lui est préjudiciable.

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