L’assemblée générale des copropriétaires peut interdire le changement d’affectation d’un lot effectué par un copropriétaire lorsque celui-ci, par sa dangerosité, porte atteinte à la conservation de l’immeuble
Source : Cass.3ème Civ., 22 mai 2025, n°23-19.387
I-
En l’occurrence des copropriétaires, propriétaires de lots situés au sixième étage de l’immeuble soumis au statut de la copropriété et qualifiés de débarras aux termes du règlement de copropriété, en avaient changé l’usage, pour les affecter à l’habitation.
A la suite d’un incendie survenu dans l’immeuble et consécutivement d’un rapport d’un architecte qui avait révélé une non-conformité de l’accès au sixième étage au regard des règles de sécurité incendie, notamment pour l’évacuation des occupants, l’assemblée générale des copropriétaires avait voté une résolution interdisant cet usage d’habitation à raison du risque pour la sécurité des occupants en cas d’incendie.
Les copropriétaires concernés avaient alors assigné le Syndicat des copropriétaires en nullité de cette résolution lequel avait, à titre reconventionnel, demandé le rétablissement des lots en question dans leur état initial de débarras.
Plusieurs moyens avaient été soulevés par les copropriétaires devant la Cour d’Appel, parmi lesquels :
- La prescription de la demande reconventionnelle : ces derniers avaient invoqué que le délai alors décennal aux termes de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 dans sa rédaction applicable en la cause, de l’action tendant au rétablissement de l’affectation d’un lot, était expiré car celui-ci avait, selon eux, commencé à courir à compter du jour où le syndicat des copropriétaires avait eu connaissance du changement d’affectation en question ;
- Le caractère abusif du vote intervenu : ils avaient ainsi soutenu que leur demande d’annulation était justifiée car cette interdiction votée en assemblée générale par le Syndicat des Copropriétaires était abusive pour violer les dispositions, principalement de l’article 9 alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965, selon lequel chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot, usant et jouissant librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.
Ils estimaient que la police de la sécurité et de la salubrité des immeubles collectifs à usage d’habitation relevait des prérogatives de la puissance publique, en application des articles L 511-1 et suivants du Code de la Construction et de l’Habitation, et non du Syndicat des Copropriétaires.
La Cour d’Appel avait rejeté la demande d’annulation de la résolution présentée par les copropriétaires et fait droit à la demande de rétablissement des lots dans leur usage de débarras tel que prévu au règlement de copropriété.
Concernant la demande d’annulation de la résolution, elle avait estimé que le risque que présentait pour l’ensemble de la copropriété, l’occupation de ces lots en question à des fins d’habitation constituait une restriction apportée aux droits des propriétaires sur leur lots justifiée par la conservation de l’immeuble.
Elle avait ensuite prononcé le rétablissement d’usage, estimant que l’action n’était pas prescrite, le délai n’ayant commencé à courir, selon elle, qu’à compter du jour où le Syndicat des Copropriétaires avait été informé de la dangerosité de ce changement d’affectation.
II-
Les copropriétaires avaient corrélativement formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision, qui fût rejeté.
La Troisième Chambre Civile a tout d’abord considéré que le Cour d’Appel avait souverainement retenu qu’en dépit de l’ancienneté de l’occupation des lots comme logements, le Syndicat des Copropriétaires n’avait eu connaissance de la dangerosité de cette nouvelle affectation que bien plus tard, lors de la date de remise par l’architecte de son rapport consécutif à l’incendie survenu un peu plus tôt dans l’année, révélant une non-conformité de l’accès au sixième étage au regard des règles de sécurité incendie, notamment pour l’évacuation des occupants.
L’action en rétablissement des lots dans leur état initial conforme à ce qui était prévu au règlement de copropriété, n’était donc pas prescrite.
La Cour de Cassation a par ailleurs ajouté que ce changement d’usage n’avait jamais été ratifié en assemblée générale, de sorte que les copropriétaires ne pouvaient se prévaloir d’un droit acquis à l’usage qu’ils revendiquaient.
Enfin, elle a considéré que le Syndicat des copropriétaires n’avait pas commis d’abus en interdisant cette affectation, cette restriction aux droits des copropriétaires étant justifiée par la conservation de l’immeuble.
III-
Cette décision est, au final, intéressante à plus d’un titre :
- Elle fixe le point de départ de l’action en remise en état de l’affectation du lot, lorsque la nouvelle porte atteinte comme au cas d’espèce, à la conservation de l’immeuble, à la date à laquelle le Syndicat des Copropriétaires a eu connaissance de cette atteinte ;
- Elle rappelle au passage ce que constitue un droit acquis
- Surtout elle considère que parmi les restrictions justifiées au libre droit dont dispose chaque copropriétaire de disposer de son lot, figure la sauvegarde de l’immeuble lorsque celle-ci est en jeu.
Ainsi ce qui avait motivé l’interdiction validée par les juridictions, n’était pas le changement d’usage en tant que tel, mais sa dangerosité pour l’immeuble qui n’était apparue qu’après l’incendie.