SOURCE : Cass com., 24 juin 2014, n°13-26.332, Publié au bulletin
Plusieurs experts comptables démissionnent de la société FIDUCIAL dont ils étaient salariés, et intègrent, par des sociétés interposées, une nouvelle société concurrente, ACEC, vers laquelle plusieurs clients de FIDUCIAL choisissent de se tourner.
FIDUCIAL a donc assigné la société ACEC, les sociétés interposées et les experts comptables démissionnaires en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale. Parmi les griefs, FIDUCIAL reprochait à AECE de ne pas, conformément au code de déontologie, l’avoir préalablement informée du transfert des dossiers de ses clients.
Leur action était alors introduite en conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation[1], selon laquelle « les transferts de dossiers de certains clients (…) effectués en méconnaissance des règles déontologiques de la profession d’expert-comptable, (…) suffisait à établir que de tels agissements étaient constitutifs de concurrence déloyale ».
La Cour d’appel de Paris (22 septembre 2011), choisit d’entrer résistance, et considère que la violation d’une règle déontologique «ne constitue pas pour autant une concurrence déloyale des lors qu’il n’est pas établi de manœuvres déloyale aux fins de détourner la clientèle » qui ne sont, en l’espèce, pas avérées.
Sa position est alors approuvée par la Cour de cassation qui procède à un revirement de sa jurisprudence :
« Un manquement à une règle de déontologie, dont l’objet est de fixer les devoirs des membres d’une profession et qui est assortie de sanctions disciplinaires, ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence déloyale ; qu’ayant retenu que le non-respect par la société ACEC de la règle déontologique applicable à l’activité d’expert-comptable, selon laquelle le membre de l’ordre qui est appelé à remplacer un confrère dans la tenue de la comptabilité d’un client ne peut accepter sa mission qu’après en avoir informé ce confrère, ne peut à lui seul constituer une manœuvre déloyale, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait »
La Haute juridiction a confirmé son revirement par un arrêt du 10 septembre 2013[2]
« ayant retenu que cette faute déontologique ne peut constituer un acte de concurrence déloyale que s’il est établi qu’elle est à l’origine du transfert de clientèle et relevé que tel n’est pas le cas de la seule violation alléguée dès lors que l’absence d’envoi de la lettre exigée avant le transfert du dossier n’est pas à l’origine de celui-ci et de l’éventuel détournement de clientèle, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ».
La Cour de cassation n’infirme donc plus les décisions de Cours d’appel qui ne sanctionnent pas la violation d’une règle déontologique par la concurrence déloyale.
Désormais la victime d’actes de concurrence déloyale devra démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la faute déontologique et le dommage allégué (le transfert de clientèle)
Une décision contraire d’une Cour d’appel, conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, serait-elle pour autant sanctionnée par la Cour de cassation ? La motivation du conclusif, et notamment le contrôle normatif opéré par la Haute juridiction ne permet pas d’en tirer une telle conséquence. Si l’arrêt du 10 septembre 2013 semblait imposer aux Cours d’appel de motiver leur refus de sanction au titre de la concurrence déloyale, l’arrêt du 24 juin 2014 revient sur cette obligation :
« qu’ayant retenu que le non-respect (…) de la règle déontologique (…), ne peut à lui seul constituer une manœuvre déloyale, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait. »
Un contrôle lourd de la Haute juridiction[3] l’aurait conduite à considérer que la Cour d’appel a « exactement » ou « justement » décidé que le non-respect (…) de la règle déontologique (…), ne peut à lui seul constituer une manœuvre déloyale. Ce simple contrôle léger de la décision conduit à considérer que la Haute juridiction laisse aux juges du fonds le soin de sanctionner ou non la violation de la règle déontologique au regard de la concurrence déloyale, et qu’une décision contraire ne sera pas sanctionnée.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. com., 29 avr. 1997, n° 94-21424, Bull. civ. IV, no 111; Cass. com., 18 avr. 2000, no 97-17719; Cass. com., 22 mai 2001, n° 95-14909
[2] Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-19356, P+B+R
[3] Sur la motivation des arrêts de Cour de cassation, cf “comprendre un arrêt de la cour de cassation rendu en matière civile”, par Jean-François WEBER