Conclusion et poursuite du bail commercial à la lumière du droit de l’environnement

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

Retour sur ces différentes obligations du preneur et du bailleur, de la conclusion du bail, à son expiration.

 

I – Les obligations du bailleur lors de la conclusion du bail

 

Elle relèvent principalement de l’information sur les caractéristiques des locaux et de leur délivrance conforme à leur destination contractuelle.

 

I – 1. Le devoir d’information

 

Lors de la conclusion d’un bail, il incombe à tout propriétaire de locaux de mettre à la disposition du preneur à bail commercial :

 

un état des risques naturels miniers et technologiques et les informations rendues publiques par l’Etat relatives aux terrains sur lesquels il existe une pollution avérée du sol[1]. Le manquement à cette obligation, permet au preneur de solliciter la résolution du bail ou une réduction du loyer dans les deux ans de la découverte de la pollution du sol ;

 

une annexe environnementale[2] pour les baux à usage de commerce ou de bureau de plus de 2000m². A ce jour, aucune sanction spécifique n’a toutefois été prévue pour sanctionner le non respect de cette obligation.

 

Un diagnostic technique amiante (DTA)[3]. L’inexécution de cette obligation est sanctionnée pénalement par une amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe[4] ;

 

Un diagnostic de performance énergétique réalisé depuis moins de 10ans[5]. Il n’existe pas de sanction spécifique en cas d’inexécution par le bailleur, de cette obligation. Le bailleur exécutant spontanément cette obligation en est toutefois récompensé : Le locataire ne peut se prévaloir à son encontre des informations contenues dans le diagnostic de performance énergétique.

 

Au-delà des sanctions spécifiques ci-avant mentionnées, la résolution du contrat pourra être sollicitée au titre du dol, dont la démonstration n’est pas aisée.

 

Elle pourra également être demandée, tout comme l’indemnisation du preneur fondée sur le trouble de jouissance[6], sur le fondement de la garantie des vices cachés. Il peut en être ainsi, par exemple, en cas de pollution du site rendant impossible son exploitation selon l’activité prévue au bail[7]. La résolution du bail ne pourra toutefois pas être obtenue en cas de stipulation contraire du bail[8] ou si le preneur connaissait[9], ou devait connaître[10], les vices invoqués.

 

I – 2. La délivrance de locaux conformes à la destination du bail

 

Elle résulte de l’article 1719 du Code civil : « Le bailleur est obligé, sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ». Aucune stipulation du bail ne peut décharger le bailleur de son obligation de délivrance[11]. Il incombe ainsi au bailleur de délivrer au Preneur :

 

a) Des locaux dont l’activité stipulée au bail est susceptible de bénéficier des autorisations administratives

 

Le bailleur doit s’assurer que le preneur sera susceptible d’obtenir les autorisations propres à exploiter les activités stipulées au bail : la structure du bien et sa conformité aux normes doivent permettre au preneur d’obtenir les autorisations nécessaires[12].

 

Si l’activité stipulée au bail relève des ICPE, le bailleur devra ainsi veiller à ce que l’activité exercée ne soit pas déjà interdite[13] et que l’emplacement des locaux permette au preneur d’obtenir les autorisations préfectorales indispensables à l’exercice de son activité. Il devra également veiller à ce que l’activité stipulée au bail ne conduise pas nécessairement le preneur à engager sa responsabilité au titre de troubles de voisinage.

 

b) Un bien lui permettant d’exercer immédiatement l’activité prévue au bail

 

Le bailleur doit procéder à l’ensemble des installations nécessaires au démarrage de l’activité du preneur[14, sauf à lui imputer, aux termes du bail, la réalisation des travaux lui permettant d’exercer son activité.

 

Ainsi, sauf clause contraire expresse retardant l’entrée en jouissance en raison des travaux, le preneur doit pouvoir exercer l’activité prévue au bail dès l’entrée en jouissance convenue au contrat. Il ne saurait ainsi être contraint de supporter des travaux de désamiantage non stipulés au bail[15], pas plus qu’une procédure aux fin de permettre la réouverture administrative de l’activité[16].

 

Le manquement à l’obligation de délivrance entraine la résolution du bail aux torts du bailleur.

 

C’est également l’activité prévue au bail qui déterminera le degré de pollution des sols au-delà duquel le bailleur commet un manquement à son obligation de délivrance. En conséquence, seuls la gène, le trouble dans l’exercice de l’activité ou la mise en demeure de l’administration de procéder à une remise en état peuvent constituer un manquement à l’obligation de délivrance[17]. En toutes hypothèses, dès lors que le site bénéficie des agréments administratifs pour l’exploiter conformément à son objet et que le preneur peut l’exploiter, le bailleur respecte son obligation de délivrance[18].

 

II – Les obligations des parties au cours du bail

 

L’obligation de délivrance et d’information du bailleur ne s’éteignent toutefois pas avec l’entrée en jouissance du preneur. Le bailleur reste tenu d’une obligation de maintenir les locaux en état d’être exploités par le preneur, et, selon les circonstances, de procéder à une recherche d’information sur les lieux loués. Quant au preneur, il a l’obligation d’exploiter paisiblement son activité, notamment en conformité avec les normes environnementales.

 

II – 1. Les obligations du bailleur

 

a) Le maintien des locaux en état d’être exploités.

 

Sauf clause contraire, le bailleur est tenu de procéder à l’ensemble des travaux nécessaires afin de maintenir les locaux en état d’être exploités.

 

En conséquence, peut être prononcée aux torts du bailleur la résiliation du bail lorsque le bailleur ne procède pas aux réparations d’une cuve de combustible, malgré les interpellations du preneur[19]

 

b) La recherche d’information sur les lieux loués.

 

En cas de travaux sur l’immeuble, il incombe au bailleur, lequel dispose d’un DTA (cf supra), de le remettre « à toute personne physique ou morale appelée à effectuer des travaux dans l’immeuble bâti » et de conserver « une attestation écrite de cette communication » [20]. Cette obligation est sanctionnée par une amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe[21].

 

En outre, pour certains établissements et dans certains départements[22], l’institut de radioprotection et de sureté nucléaire peut exiger du propriétaire de l’immeuble ou de l’exploitant la réalisation de mesures de concentration de radon. L’inexécution de ces mesures dans le délai imparti par l’Institut[23 est passible d’une peine de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 7500 euros

 

II – 2. Les obligations du preneur

 

Outre le règlement des loyers et charges, et plus généralement, le respect des stipulations du bail, le preneur est contraint au respect d’obligations environnementales.

 

En qualité de producteur ou détenteur de déchets, le preneur doit en assurer ou en faire assurer la gestion et la destruction[24], et veiller que la personne qu’il missionne à cette fin est autorisée à les prendre en charge ». [25].

 

En cas de pollution du sol au titre de son activité ou de la présence de déchets issus de son activité, l’exploitant peut voir sa responsabilité engagée par l’Etat. La responsabilité du bailleur peut également être recherchée à titre subsidiaire, s’il est démontré qu’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à cette pollution[26].

 

D’où la nécessité, par précaution, de stipuler une clause du bail selon laquelle le preneur a interdiction d’entreposer tout déchet sur le site, de maintenir le site exempte de toute pollution au cours de bail et autorise le bailleur à accéder aux locaux afin de s’assurer du respect de ces obligation, et ainsi d’éviter un entreposage important de déchets dont le coût d’élimination serait non négligeable. Le non respect de cette obligation pourrait ainsi être sanctionné par la résiliation du bail ou la fixation d’une astreinte.

 

Enfin, outre la mise en jeu de sa responsabilité par l’Etat ou par le bailleur, le preneur peut également voir sa responsabilité engagée auprès de tiers si son activité ou les déchets qu’il génère occasionne un trouble anormal de voisinage[27]. Si ce trouble résulte inévitablement de son activité, stipulée au bail, de sorte que la poursuite de l’activité serait rendue impossible sans la commission de nouveaux troubles de voisinage, le preneur pourrait ensuite se retourner contre le bailleur en résiliation du bail pour manquement dans son obligation de délivrance (cf supra).

 

III – Les obligations du preneur à la fin du bail :

 

III – 1. L’information du Bailleur et des autorités

 

Lorsqu’une installation classée soumise à enregistrement est mise à l’arrêt définitif, l’exploitant notifie au préfet la date de cet arrêt trois mois au moins avant celui-ci, puis transmet à certaines autorité et au propriétaire du terrain d’assiette de l’installation un certain nombre de documents, dont les usages successifs du site et ses propositions sur le type d’usage futur du site qu’il envisage de considérer.[28]

 

Pour contenter l’administration, le preneur aura l’obligation de remettre le site avec un degré de pollution des sols compatible avec l’usage futur du terrain.

 

Mais à l’égard du Bailleur, tout dépendra des stipulations du bail (cf infra)

  

III – 2 la remise en état du site

 

a) A l’égard du bailleur

 

Outre la remise des clés, le preneur a l’obligation de remettre les locaux en l’état initial. Il ne doit cependant pas les remettre à neuf[29].

 

Sur ce fondement, certains plaideurs, actionnés par leur bailleur en restitution de locaux exempts de pollution, ont considéré qu’il était prévisible, pour une activité relevant de l’utilisation industrielle, qu’une pollution résiduelle apparaisse au cours du bail, de sorte que cette pollution relève de l’utilisation normale du bien pris à bail, donc de la vétusté, imputable au bailleur en l’absence de clause contraire du bail.

 

La Cour d’appel de Paris n’est pas de cet avis, et considère que la pollution « découle néanmoins de fuites et de débordements qui pouvaient être prévenus; qu’en l’absence de précaution, les désordres ainsi causés ne relèvent pas de la vétusté, mais bien d’un manquement aux obligations contractuelles du locataire ».

 

Si le preneur ne doit pas remettre au bailleur des locaux à l’état neuf, le degré de pollution lors de la sortie des lieux doit correspondre, pour que le preneur se conforme aux obligations du bail, à celui existant lors de l’entrée dans les lieux[30], sauf clause contraire plus stricte : le bail peut en effet imposer au preneur de restituer les lieux exempts de pollution, allant de ce fait au-delà de la règlementation et de la législation applicable[31].

 

Le bail peut également répartir différemment les obligations des parties, et prévoir que le bailleur prendra en charge une partie de la dépollution du site[32], ce qui sera toutefois inopposable à l’Etat.

 

b)A l’égard de l’Etat

 

En qualité d’exploitant d’ICPE, le preneur devra remettre le site dans un état compatible à sa destination future.

 

Il sera seul contraint de remettre le site en l’état lors de la cessation de l’exploitation[33], cette obligation, à l’égard de l’Etat, ne pouvant jamais incomber directement au bailleur[34], sauf à titre subsidiaire, et même si la pollution est imputable aux faits du bailleur et a entrainé la résiliation du bail à ses torts[35].

 

Le preneur engage sa responsabilité à l’égard de l’administration, même s’il est démontré qu’il n’est pas à l’origine de la pollution, dès lors qu’il intervient dans le cadre de la même activité que l’ancien preneur à l’origine de la pollution, en qualité de « dernier exploitant »[36], à charge pour lui d’assigner ensuite les auteurs de la pollution.

 

En revanche, seul le preneur qui poursuit l’activité relative à l’ICPE à l’origine de la pollution peut être poursuivi par l’administration et tenu de remettre les lieux en état[37].

 

Dans l’attente de cette remise en état, et jusqu’à ce qu’il justifie des mesures prises pour mettre en sécurité le site, le preneur qui aura délivré un congé demeurera, même en ayant quitté les lieux, redevable d’une indemnité d’occupation[38].

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Articles L125-5 à L125-7 du Code de l’environnement

[2] Sur ce point, cf article chronos du 9 septembre 2013 http://www.vivaldi-chronos.com/index.php/immobilier/baux-commerciaux/3389-annexe-environnementale-aux-baux-a-usage-de-bureaux-ou-de-commerce

[3] Article R1334-29-5 CSP

[4] Articles R1337-3 et R1337-3-2 CSP

[5] Articles L134-3, L134-3-1 et R134-4-2 CCH

[6] 3ème civ, 2 juillet 2003, n°01-16.246, Publié au bulletin

[7] 3ème civ, 6 mars 1991, n°89-20.687, Inédit

[8] Cass. civ. 3, 26 février 1971, n° 69-14401 ; Cass. civ. 3, 11 juillet 1972, n° 71-11196

[9] 3ème civ, 9 avril 2013, 12-20.344, Inédit ;

[10] CA VERSAILLES, 8 janvier 2004, n°2002-01088

[11] 3ème civ, 1 juin 2005, 04-12.200, Publié au bulletin ; 3ème civ, 2 juillet 2013, n° 11-28.496, F-D

[12] 3ème civ, 4 juin 2009, 08-12.126, Publié au bulletin ; 3ème civ, 10 décembre 2008, n° 07-20.277, inédit ; Cass. Com., 14 février 2012, n°11-10.559, Inédit

[13] 3ème civ, 2 juillet 1997, n°95-14.151, Publié au bulletin

[14] Sur l’installation d’un réseau d’assainissement pour une activité de garage : cf CA Colmar, Civ 1, 14 septembre 2006

[15] 3ème civ, 2 juillet 2003, n°01-16.246, Publié au bulletin

[16] 3ème civ, 28 novembre 2007, n°06-17.758, Publié au bulletin

[17] CA DOUAI, CH2 S2, 21 janvier 2010, n°08/05859

[18] CA Toulouse, CH1 B, 29 octobre 2013, n°13/03724

[19] CA LYON, 1re ch. B, 29 oct. 2013, n° 13/03724 et notre articlehttp://www.vivaldi-chronos.com/index.php/immobilier/baux-commerciaux/3717-a-qui-incombe-l-obligation-de-depolluer-le-site-lorsque-le-bail-est-resilie-aux-torts-du-bailleur

[20] Article R1334-29-5 CSP

[21] Article R1337-3-2 CSP

[22] Arrêté du 22 juillet 2004, art 4 et annexes

[23] Article L1333-10 et L1337-6 du CSP

[24] Art L541-1-1 c environnement

[25] Art L541-2 c environnement

[26] Art L556-3 nouveau du Code de l’environnement

[27] CA Colmar, 05 novembre 2012, n° A 11/03709 ; 2ème civ, 24 février 2005, 04-10.362, Publié au bulletin

[28] Articles R512-46-25 et R512-46-26 du code de l’environnement

[29] 3ème civ, 18 mars 2009, 07-15.110, Inédit

[30] CA LIMOGE, 16 mai 2013, n°11/01433

[31] CA VERSAILLES, 3 janvier 2012, n°10/08104, et notre article chronoshttp://www.vivaldi-chronos.com/index.php/immobilier/baux-commerciaux/2329-bail-commercial-et-obligation-de-depollution

[32] CA NIMES, 4 mai 2006, n°04/00344

[33] Article L512-17 et R512-73 c environnement

[34] 3ème civ, 11 septembre 2013, 12-15425, Inédit, dans le même sens, 3ème civ, 16 mars 2005, 03-17.875, Publié au bulletin

[35] CA LYON, 1re ch. B, 29 oct. 2013, n° 13/03724 et notre article chronos http://www.vivaldi-chronos.com/index.php/immobilier/baux-commerciaux/3717-a-qui-incombe-l-obligation-de-depolluer-le-site-lorsque-le-bail-est-resilie-aux-torts-du-bailleur

[36] 3ème civ, 11 septembre 2013, 12-15425, Inédit , CA NIMES, 4 mai 2006, n°04/00344

[37] Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 17 novembre 2004, n°252514

[38] 3ème civ, 19 mai 2010, 09-15.255, Publié au bulletin

 

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