Application d’une loi inconstitutionnelle : Précisions sur les conditions dans lesquelles la Responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée.

Johanna HENOCQ
Johanna HENOCQ

Source : CE, Assemblée, 24 décembre 2019 n°s 425981, 425983, 428162

 

Par une décision QPC 2013-336 en date du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel avait déclaré le premier alinéa de l’article L. 442-9 du code du travail (dans sa rédaction antérieure à 2004), comme étant contraire à la Constitution.

 

Pour rappel, cet alinéa renvoyait à un décret en Conseil d’Etat le soin de déterminer les entreprises publiques et les sociétés nationales soumises aux dispositions relatives à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise.

 

Le Conseil constitutionnel avait alors jugé qu’en soustrayant les entreprises publiques à l’obligation d’instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l’entreprise et en se bornant à renvoyer à un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient soumises, sans définir le critère de désignation ni encadrer ce renvoi au pouvoir règlementaire, le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions de nature à affecter l’exercice de la liberté d’entreprendre.

 

En l’espèce, une société parisienne avait été condamnée par le TGI, sur renvoi après cassation, à répartir entre l’ensemble de ses salariés la somme de 1 015 080€.

 

A la suite de la décision QPC de 2013, la société avait demandé au TA de Paris de condamner l’Etat à lui rembourser la somme qu’elle avait été contrainte de verser à ses salariés.

 

Le TA puis la CAA ayant rejeté sa demande, la société s’est pourvue en cassation.

 

La Haute Juridiction juge que la responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée sur deux fondements :

 

  Celui de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l’adoption d’une loi.

 

Toutefois le Conseil d’Etat assortit cette possibilité d’une condition : celle tenant à ce que la loi n’ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, devant présenter un caractère grave et spécial, ne puisse être regardé comme une charge incombant aux intéressés.

 

  Celui des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l’ensemble des préjudices résultant de l’application d’une loi contraire à la Constitution ou aux engagement internationaux de la France.

 

Toutefois, le Conseil d’Etat assortit cette possibilité d’une double condition :

 

  Celle tenant à ce que le Conseil constitutionnel ait déclaré cette disposition comme étant inconstitutionnelle ;

 

  Celle tenant à ce que la décision d’inconstitutionnalité ne s’oppose pas à cette réparation (soit qu’elle ne l’ait pas exclue expressément, soit qu’elle ait laisser substituer tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause).

 

Le Conseil d’Etat précise, autant que de besoin, que lorsque ces conditions sont réunies, il appartient à la victime de démontrer la réalité de son préjudice outre l’existence d’un lien de causalité direct entre ce dernier et l’inconstitutionnalité dont il se prévaut.

 

Au cas d’espèce, la Haute juridiction relève que la décision QPC ne faisait pas obstacle à ce que soit engagée la responsabilité de l’Etat.

 

Toutefois, et pour confirmer le raisonnement de la Cour d’appel, le Conseil d’Etat rappelle les motifs ayant conduit à l’insconstitutionnalité des dispositions litigieuses, en l’occurrence, la méconnaissance, par le législateur, de l’étendue de sa compétence.

 

Par suite, il n’existait aucun lien de causalité entre cette méconnaissance et le préjudice dont se prévalait la société.

 

En effet, la méconnaissance, par le législateur, de l’étendue de sa compétence, ne pouvait directement être à l’origine de l’obligation faite à l’entreprise de verser à ses salariés une participation aux résultats.

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