Dans un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Paris a pu réaffirmer que l’expertise de l’article 145 du Code de procédure civil doit permettre de fonder une action principale. Tel n’est pas le cas d’une demande d’expertise portant sur une œuvre d’art qui aurait pour but de soutenir une action en responsabilité d’un auteur de catalogue raisonnée qui aurait refusé d’inclure l’œuvre litigieuse : le refus d’inclure une œuvre d’art au sein d’un catalogue raisonné ne peut être considéré comme fautif.
Source : 4 septembre 2025, Cour d’appel de Paris, RG n° 24/18388
I –
Une société détient, pour le compte d’un particulier qui lui en a donné mandat de vente, un exemplaire de l’œuvre « Femme plate V » d’Alberto Giacometti. Le propriétaire de l’œuvre avait auparavant recherché l’inscription de son œuvre au catalogue raisonné de l’artiste tenu par la Fondation Alberto et Annette Giacometti. Le comité de ladite fondation a refusé cette inscription au motif que la sculpture était un « tirage défectueux » non conforme au plâtre original.
Dans la perspective de la vente de ladite œuvre, la société mandatée à cet effet fait appel à un expert qui compare le tirage en question à l’exemplaire se trouvant au Centre Pompidou, celui-ci les considère identiques. L’expert se voit refuser par la fondation précitée la comparaison avec un autre exemplaire détenue par celle-ci, cette dernière réaffirmant que le tirage dont il est envisagé la vente est une contrefaçon tout en proposant un nouvel examen à huis clos par les membres de son comité.
Cette proposition ne satisfait pas le mandataire qui décide d’assigner la fondation en référé aux fins de demander une expertise judiciaire sur l’authenticité de l’œuvre. Le juge des référés rejette cette demande et appel est formé.
II –
Pour le mandataire, un examen contradictoire est nécessaire puisque d’une part la fondation considère l’œuvre comme une contrefaçon et d’autre part, l’expert près la Cour d’appel de Paris considère le tirage litigieux comme identique à l’œuvre présente au Centre Pompidou. Il affirme également que la Cour de cassation juge qu’une peinture reconnue authentique par un expert judiciaire impose à l’auteur d’un catalogue raisonné d’y inclure la peinture en question.
Surtout, l’appelant considère que la responsabilité de la fondation pourrait être engagée en cas de refus de délivrer un certificat d’authenticité dans le cas où ce refus était jugé abusif ou fautif.
Pour l’intimée (la fondation), le mandant (le propriétaire de la sculpture) aurait pris certains engagements lorsqu’il a sollicité l’avis du comité qui lui interdiraient l’exercice de l’action en question. Mais surtout, elle considère que le recours à une expertise judiciaire est insusceptible de mettre fin à la divergence d’avis concernant la sculpture et que rien ne pourrait imposer à la fondation d’inclure la sculpture au sein de son catalogue raisonné.
III –
La Cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance du juge des référés.
Pour ce faire, la Cour d’appel rappelle tout d’abord les conditions dans lesquelles l’article 145 du Code de procédure civil doit s’appliquer, et notamment dans le but d’établir la preuve de faits avant tout procès dont pourrait dépendre la solution du litige.
Encore faut-il qu’une action principale soit envisageable.
En l’espèce, aucun procès futur possible n’est ici possible. La Cour d’appel de Paris rappelle le revirement de jurisprudence de la première chambre civile du 22 janvier 2014[1] : le refus de l’auteur d’un catalogue raisonné d’y insérer une œuvre, fût-elle authentique, ne peut, à défaut d’un texte spécial, être considéré comme fautif.
Quand bien même l’expertise judiciaire établirait l’authenticité de l’œuvre litigieuse, elle ne pourrait fonder une action en responsabilité à l’encontre de la fondation puisque le refus d’inclure l’œuvre à son catalogue raisonné ne pourrait être considéré comme fautif.
D’autre part, l’appelante ne peut prétendre que l’action envisagée n’aurait aucun lien avec le refus d’inclure l’œuvre au sein du catalogue raisonné de la fondation puisque l’inclusion avait été expressément invoquée devant le premier juge et que l’appelante entendait se prévaloir de la manière de juger de la Cour de cassation relative à l’inclusion au catalogue raisonnée d’une œuvre expertisée et considérée comme authentique.
En tout état de cause, l’arrêt à l’étude permet de réaffirmer la liberté laissée aux auteurs de catalogues raisonnées quant à l’inclusion au sein desdits catalogues d’œuvres expertisées comme authentiques : l’authenticité ne leur impose pas l’inclusion.
[1] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 22 janvier 2014, 12-35.264, Publié au bulletin