Caractérise une faute disciplinaire les relations étroites d’un administrateur du Sénat avec la Corée du Nord

Eloïse LIENART
Eloïse LIENART

Dans une décision récente, le Conseil d’Etat statuant en la forme des référés, a jugé qu’il n’existait pas de doute sérieux sur la décision de sanction de mise à la retraite d’office d’un administrateur du Sénat prononcée par le président du Sénat à raison des relations régulières et approfondies qu’il a entretenues avec la Corée du Nord.

Source : CE, 13 octobre 2023, n° 474545

En l’espèce, il était reproché à un administrateur du Sénat, membre de l’association des amitiés franco-coréennes depuis 2004 et président de cette association depuis 2017, d’avoir manqué à ses obligations de loyauté, de dignité et de réserve en entretenant des relations étroites avec la Corée du Nord.

La Direction générale de la sécurité avait ouvert une enquête en 2018 qui a débouché sur l’arrestation de l’intéressé et l’ouverture d’une information judiciaire des chefs criminels de recueil et livraison d’information à une puissance étrangère susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et en outre, sur réquisitoire supplétif et à raison des mêmes faits, de délit d’intelligence avec une puissance étrangère susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

Toutefois, par une ordonnance devenue définitive, les juges d’instruction du Tribunal judiciaire de Paris ont considéré que l’information judicaire n’avait pas permis de démontrer, en dépit de la mise en œuvre de moyens d’enquête significatifs, le recueil ou la livraison à la Corée du Nord, y compris de manière indirecte, d’informations susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

Un non-lieu a donc été prononcé.

A son retour, une procédure disciplinaire pour manquement aux obligations de réserve, de loyauté et de dignité prévues au sein du règlement intérieur du Sénat a été engagée par le Président du Sénart, et la sanction de mise à la retraite d’office a été prononcée à son encontre.

Le Conseil d’Etat était donc saisi de la cassation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris ayant suspendu cette sanction.

Pour rappel, le référé-suspension est une procédure prévue à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative qui a pour but la suspension d’une décision administrative. Il doit être accompagné d’une requête au fond, en annulation ou en réformation, de la décision attaquée. La suspension de l’exécution de la décision est soumise à la condition d’urgence ainsi qu’à celle du doute sérieux quant à la légalité de l’acte.

Le Conseil d’Etat, statuant en la forme des référés, relève qu’il a été retenu à l’encontre de l’intéressé :

«  une méconnaissance de ses obligations de loyauté et de dignité à raison des relations régulières et approfondies qu’il a entretenues avec plusieurs membres de la Délégation générale de la République populaire de Corée du Nord à Paris (DGRPDC), dont il ne pouvait ignorer les liens avec les services de renseignement nord-coréens, se traduisant, d’une part, par l’organisation à leur intention de fréquentes visites et déjeuners dans l’enceinte du Sénat, par de nombreux échanges et par la fourniture de notes sur divers sujets touchant notamment à l’énergie nucléaire, aux centrales hydrauliques, à la gestion des réseaux électriques ou aux modalités de construction d’un immeuble de grande hauteur, et qui l’auraient amené, d’autre part, à fournir à la DGRPDC, en 2014, les coordonnées de la compagne d’un étudiant nord-coréen dissident en fuite, à contribuer, en 2015, à la surveillance d’une manifestation en faveur des droits de l’homme d’opposants au régime nord-coréen, à faciliter, en 2017, la mise en relation de la DGRPDC avec un ingénieur spécialiste de questions nucléaires et un universitaire spécialiste de mathématiques appliquées, et à l’alerter, en 2018, sur le profil d’un journaliste français qui envisageait d’enquêter sur la liberté religieuse en Corée du Nord »

Ainsi que « la méconnaissance de ses obligations de loyauté, de dignité et de réserve à raison de son activité dans le cadre de l’association des amitiés franco-coréennes (AAFC) dont il avait pris la présidence en 2017, les décisions contestées relevant, d’une part, que cette association, publiant de nombreux articles apologétiques pour le régime nord-coréen, était devenue un vecteur privilégié de l’appareil de propagande nord-coréen, faisant état, d’autre part, des multiples voyages de M. B… en Corée du Nord, dont certains aux frais de cet Etat, à l’occasion desquels lui ont été remises diverses marques de reconnaissance, telle qu’une médaille de l’amitié, et au cours desquels il a notamment participé aux commémorations du 70ème anniversaire du régime et rencontré le président de l’Assemblée populaire suprême de Corée du Nord, et relevant, enfin, que l’intéressé avait condamné les réactions officielles françaises à l’occasion de la mort de Kim Jong-Il, en 2011, dans un courrier adressé au ministère des affaires étrangères et un article publié sur le site de l’AAFC et vivement critiqué la politique étrangère de la France à l’égard de la Corée du Nord, en 2018, dans une interview au magazine en ligne ” L’Incorrect “. »

Le Conseil d’Etat juge alors que si, en l’état de l’instruction, l’argumentation soulevée par l’intéressé est de nature à faire douter de ce que les griefs tirés de la mise en relation de la DGRPDC avec un ingénieur et un scientifique, d’une part, et de la teneur de son action concernant la surveillance d’un étudiant dissident ou les démarches d’un journaliste français, d’autre part, seraient établis avec certitude, et de ce que ses propos retracés dans le magazine ” L’Incorrect ” excédaient, par eux-mêmes, les exigences du devoir de réserve, il n’apparaît pas, toutefois, en l’état de l’instruction, que seraient de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées les moyens tirés de ce que la matérialité des autres faits motivant la sanction contestée ne serait pas établie, de ce que ces autres faits ne constitueraient pas un manquement grave à ses obligations déontologiques de dignité, de loyauté et de réserve, et de ce que, au regard de ces manquements, la sanction considérée serait disproportionnée.

L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

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