SOURCE: CA LYON, 1re ch. B, 29 oct. 2013, n° 13/03724
En matière d’environnement, il est d’usage d’associer l’obligation de dépollution à l’adage « pollueur/ payeur ».
Toutefois, comme dans l’espèce ci-après commentée relative à un bail commercial dans lequel est exploitée une ICPE, il peut s’avérer difficile de déterminer précisément le pollueur dès lors que l’action du preneur et l’inaction du bailleur ont contribué à la réalisation du dommage.
Après avoir vainement interpelé son bailleur des désordres affectant les trois cuves de combustibles implantées sur le terrain jouxtant l’immeuble exploité, l’ensemble étant inclus dans l’objet du bail, le preneur décide de procéder aux réparations des deux premières cuves, tout en négligeant la troisième. Or à la suite de fortes pluies, la cuve déborde et pollue la nappe phréatique.
De guerre lasse, le preneur, après avoir cessé son exploitation, a sollicité des juridictions la résiliation du bail aux torts du bailleur, en raison de sa carence dans le respect de son obligation de délivrance. En outre, le preneur sollicite du bailleur :
– le remboursement des frais de remise en état des deux premières cuves, supportés par le preneur au nom et pour le compte du bailleur,
– le remboursement des frais de dépollutions occasionnés par le débordement de la cuve,
– la prise en charge de la dépollution du site en fin d’exploitation
La Cour d’appel de Lyon accueille, sans surprise, sa demande fondée sur la résiliation du bail aux torts du bailleur, et ordonne une mesure d’expertise aux fins de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction.
En revanche, le preneur est débouté de l’ensemble de ses autres prétentions :
a) Le remboursement des travaux réalisés par le preneur pour le compte du bailleur
On rappellera que sauf urgence, le bailleur ne doit rembourser au preneur les travaux dont il est tenu que s’il a été préalablement mis en demeure de les réaliser et, qu’à défaut d’accord, le preneur a obtenu une autorisation judiciaire de se substituer à lui.
Faute d’avoir réalisé ces démarches, les frais des travaux réalisés par le preneur, qui pensait se substituer au bailleur, restent à sa charge[1].
b) La prise en charge des frais de dépollution consécutifs au sinistre
Pour la Cour d’appel, cette pollution n’est pas imputable à l’inaction du bailleur, mais à la « persistance fautive du preneur à utiliser cette cuve qu’elle savait défectueuse et dont la neutralisation était nécessaire ». Il résultait en effet des pièces versées à la procédure que le preneur avait poursuivi le stockage de combustible dans la cuve, qu’il savait défectueuse et pour laquelle il s’était abstenu (certes légitimement…, cf supra) de réaliser des réparations.
Toutefois, on pourrait objecter à cette position que la pollution n’a été rendue possible que par l’inaction du bailleur, de sorte que le bailleur a nécessairement, par son inaction, participé à la réalisation du préjudice. Une quote part des frais de dépollution auraient donc pu, sur ce fondement, lui être imputée. La Cour de cassation appréciera, si tant est qu’elle soit saisie.
c) L’imputation de l’obligation de dépollution
Aux termes de l’article R512-73 du code de l’environnement,
«Lorsqu’une installation a fait l’objet d’une mesure de suppression, de fermeture ou de suspension, l’exploitant est tenu de prendre toutes dispositions nécessaires pour la surveillance de l’installation, la conservation des stocks, l’enlèvement des matières dangereuses, périssables ou gênantes ainsi que des animaux se trouvant dans l’installation.»
Il incombe ainsi à l’exploitant de satisfaire aux obligations légales en matière de dépollution du site. Toutefois, en l’espèce, le preneur considérait que l’arrêt de l’exploitation étant la conséquence d’une faute commise par le bailleur, à l’origine de la pollution, celui-ci doit être condamné à dépolluer le site à ces frais.
Cette position n’est pas partagée par la Cour d’appel de Lyon, qui précise que le bailleur n’a jamais exploité le site, et que l’article R512-73 ne prévoit pas de dérogation en cas de résiliation du bail aux torts du bailleur. En statuant ainsi, la Cour partage la position adoptée par les juridictions administratives sur le sujet[2].
Il incombe donc toujours à l’exploitant, quel que soit le degré de responsabilité du bailleur dans la survenance de la pollution (mais dès lors qu’il n’a pas participé à l’exploitation), de prendre en charge à ses frais, les opérations de dépollution du site, sous réserve, comme le rappelle à juste titre la Cour administrative d’appel de Nancy, de sa possibilité d’assigner ultérieurement le bailleur, devant la juridiction compétente, en remboursement des frais ainsi exposés.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Cf article chronos du 31 juillet 2013, Dans le même sens, 3ème civ, 31 octobre 2012, n°11-18635 ; 3ème civ, 15 juin 2004, n°03-13463
[2] CAA Nancy, 14 mai 1998, n°96NC01796