Source : CEDH, Arrêt du 10 octobre 2013 POMPEY c/ France n°37640/11
Cet Arrêt fort intéressant fait écho à l’Arrêt du 30 mars 2011 de la CEDH Chatellier c/ France n°34658/07 qui s’était prononcé pour la première fois sur la conformité d’une ordonnance de radiation d’un appel par le Conseiller de la mise en état à l’article 6-1 ; en effet, la Cour n’avait jusqu’à là qu’eut à connaître de mesures de retrait de pourvois du rôle devant la Cour de Cassation.
Dans l’Arrêt de 2011, la CEDH avait avant tout indiqué qu’il ne lui appartenait pas de se substituer aux juridictions internes à qui il incombait d’interpréter leur législation interne. Elle rappelait également que le « droit à un tribunal » dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et pouvait être limité, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours. Elle soulignait également que l’article 6 – 1 de la CEDH n’obligeait pas les Etats contractants à instituer des cours d’appel ou de cassation mais précisait que si de telles juridictions étaient mises en place, elles devaient présenter les garanties prévues à l’article 6-1.
Elle rappelait également qu’elle estimait légitimes les buts poursuivis par l’obligation d’exécution d’une décision de justice (à savoir notamment assurer la protection des créanciers, éviter les appels dilatoires et assurer la bonne administration de la justice en désengorgeant les tribunaux) et les sanctions en cas de non-exécution privant potentiellement le justiciable d’un nouvel examen de son affaire par un second degré de juridiction (Annoni di Gussola et autres 308119/96 et 33293/96 CEDH 2000-XI).
La Cour avait ainsi considéré que la mesure de radiation du rôle de l’appel prise par le Conseiller de la mise en état constituait une mesure disproportionnée au regard l’article 6-1 de la Convention après avoir relevé qu’il avait motivé sa décision sur une présomption de fraude, autrement dit, le Juge soupçonnait que les requérants disposaient des moyens pour régler les condamnations prononcées à leur encontre alors que le texte de l’article 526 du CPC prévoit que la mesure de radiation doit être appréciée au regard des conséquences manifestement excessives que pourrait entrainer l’exécution des condamnations sur la situation du débiteur ou de l’impossibilité d’exécuter, ce qui était le cas en l’espèce. De plus, la Cour avait relevé que le Conseiller, qui avait suivi l’argumentation de la demanderesse, n’avait même pas pris la peine de relever que les requérants ne justifiaient pas d’un commencement d’exécution de la décision.
Par ailleurs, la CEDH avait écarté le moyen d’irrecevabilité soulevé par le Gouvernement qui arguait que les requérants n’avaient pas épuisé l’ensemble des voies de recours internes puisqu’ils n’avaient pas saisi le 1er Président de la Cour d’Appel pour solliciter la suspension de l’exécution provisoire. La Cour avait sur ce point suivi l’argumentaire de la demanderesse qui soutenait que ce recours était voué à l’échec puisque le 1er Président allait connaître de la même demande que le Conseiller soit juger si l’exécution allait emporter des conséquences manifestement excessives sur la situation du débiteur.
Dans le présent Arrêt, la Cour estime au contraire que la mesure de radiation du rôle de la cour d’appel ne constitue pas une violation du droit d’accès à un tribunal puisque l’ordonnance a été motivée par le fait que les requérants disposaient manifestement des revenus suffisants pour exécuter la décision de première instance et qu’ils n’avaient jamais justifié d’un commencement d’exécution des condamnations alors que les sommes réclamés par leur adversaire étaient exigibles depuis 1993.
Comme le rappelait la Cour dans son arrêt du 30 mars 2011, il existe une divergence entre les juridictions françaises du fond sur le principe même de la radiation du rôle de la cour d’appel pour défaut d’exécution de la décision de première instance au regard de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Pour simple réflexion, il convient de rappeler qu’au terme de l’article 526 du CPC, le Premier Président ou le Conseiller de la mise en état peut en cas d’appel décider de la radiation du rôle de l’affaire « lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision. »
L’article 524 du Code de procédure civile permet quant à lui à la partie condamnée en première instance de saisir le 1er Président de la Cour d’Appel pour tenter d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire d’un Jugement.
Cependant, quid d’un jugement qui a manifestement violé le principe du contradictoire en ne permettant pas à une partie de présenter sa défense au fond alors que la juridiction a prononcé l’exécution provisoire et que la partie condamnée se heurte à un refus de suspension ?
Pour mémoire, la violation manifeste du principe du contradictoire ne peut donner lieu à suspension de l’exécution provisoire que lorsqu’elle est de droit.
Diane PICANDET
Vivaldi-Avocats