SOURCE : 3ème civ, 4 mars 2021, n°19-13240, Inédit
L’arrêt est inédit, mais les principes fondamentaux qu’il véhicule sont immuables, et doivent être rappelés : le bailleur ne peut, même si le preneur ne défère pas dans le mois aux causes d’un commandement de payer ou de faire visant la clause résolutoire, reprendre par la force les locaux, sauf à commettre une voie de fait qui engage sa responsabilité au visa des articles 1719 et 1147 du Code civil et l’oblige à indemniser le préjudice du locataire[1].
Le changement de serrure des locaux à l’initiative du bailleur est donc à proscrire en l’absence de décision de justice ordonnant ou prononçant la résiliation du bail et l’expulsion corrélative du preneur à bail, au besoin avec le concours de la force publique.
En l’espèce, le propriétaire d’un immeuble loué à usage de restaurant notifie par LRAR à l’exploitant, dont les travaux initiaux de mise en exploitation sont toujours en cours, une mise en demeure de payer les loyers visant la clause résolutoire, à laquelle il ne sera pas déféré.
A l’issue du délai d’un mois, le bailleur remplace la serrure du rideau métallique de l’entrée principale, privant le preneur à bail de tout accès aux locaux, et régularise l’injonction de payer, pour se conformer aux dispositions de l’article L145-41 du Code de commerce, par un commandement de payer visant la clause résolutoire, auquel le preneur forme opposition, et sollicite la condamnation du bailleur au paiement de dommages et intérêts pour violation de son obligation de délivrance et de jouissance paisible.
Pour la Cour d’appel de BASSE TERRE, le preneur n’ayant pas déféré aux causes du commandement dans le mois, la résiliation du bail est acquise, sans que le preneur ne puisse revendiquer l’octroi de dommages et intérêts au titre de la voie de fait commise en l’absence de préjudice démontré, puisque l’activité du preneur n’avait pas débuté.
Cette approche du préjudice de l’exploitant est censurée par la Cour de cassation :
« Vu l’article 1719 du code civil :
7. Selon ce texte, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
8. Pour rejeter la demande de Mme A, l’arrêt retient que, si elle verse aux débats un procès verbal de constat d’huissier de justice établi le 14 septembre 2012, aux termes duquel M. D aurait procédé au changement de la serrure du rideau métallique de l’entrée principale, interdisant à Mme A tout accès aux lieux loués, il n’est pas établi que ce fait ait eu des conséquences sur l’accès ou sur le fonctionnement du restaurant, dont il n’est pas contesté que l’activité n’a pas débuté, et qu’en l’absence de préjudice démontré, c’est à tort que Mme A fait état d’une résiliation abusive.
9. En statuant ainsi, tout en constatant que le bailleur avait procédé au changement de serrure le 14 septembre 2012 et privé Mme A de tout accès aux lieux loués, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »
Pour la Haute juridiction, la voie de fait cause un préjudice autonome qui doit ainsi être réparée, c’est à dire même si l’activité n’est pas en exploitation. Il appartiendra à la Cour d’appel de Fort de France de le déterminer. Cette indemnisation pourrait être d’autant plus élevée si son assiette comporte, si ce n’est la perte du fonds, du moins celle du droit au bail.
Se faire justice à soit même n’est donc jamais une bonne idée, quel que soit le comportement du locataire.
[1] Pour une illustration de l’indemnisation du préjudice lié à la voie de fait du bailleur, Cour d’appel de de Metz – ch. 03, 4 juin 2015 / n° 13/00150 : déménagement du locataire dans des conditions difficiles, frais d’huissier : condamnation au paiement de la somme de 1.200 € à titre de dommages intérêts pour le préjudice subi ;