Source : Documents de CURIA, Arrêt de la cour (cinquième chambre) du 28 octobre 2020
Dans le cadre d’une procédure judiciaire devant une juridiction suédoise, le défendeur communique par voie électronique au Tribunal, en tant qu’élément de preuve, une copie d’une page de texte intégrant une photographie issue du site Internet du demandeur.
Le demandeur au litige, auteur de cette photographie, sollicite en représailles la condamnation de son adversaire au versement de dommages et intérêts pour contrefaçon, s’appuyant sur le principe suivant lequel tout auteur dispose du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de ses œuvres, jouissant du droit exclusif de reproduction et de mise à disposition du public.
Les premiers juges faisant droit à cette prétention, un recours est exercé, la cour d’appel examinant alors la notion de « communication au public » appliquée à une transmission d’une œuvre protégée dans le cadre d’un acte de procédure et interrogeant ainsi la CJUE par le biais d’une question préjudicielle à laquelle est apportée une réponse dans un arrêt n°C-637/19 du 28 octobre 2020.
Cette notion de « communication au public » associe donc deux éléments cumulatifs rappelés ici malgré l’évidence : un acte de communication d’une œuvre d’une part, au public d’autre part.
Premier élément d’analyse : la communication.
ette question est rapidement évacuée, la Cour réaffirmant que « tout acte par lequel un utilisateur donne, en pleine connaissance de son comportement, accès à des œuvres protégées est susceptible de constituer un acte de communication. ».
Il en va donc ainsi de la transmission par voie électronique à une juridiction d’une œuvre protégée à titre d’élément de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Plus subtile est la recherche d’une définition de la notion de public
La Cour affirme que cette notion vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique par conséquent un nombre substantiel de personnes.
Elle précise qu’il s’agit de rendre perceptible une œuvre à des personnes en général par opposition à des personnes déterminées appartenant à un groupe privé.
Suivant ici les conclusions de l’avocat général, la Cour considère qu’une communication telle que celle en cause doit être considérée comme visant un groupe clairement défini et fermé de personnes investies de fonction de service public au sein d’une juridiction, et non un nombre indéterminé de destinataires potentiels.
Ainsi, cette communication est effectuée non pas à des personnes en général mais à des professionnels individuels et déterminés : la Cour en conclut que la transmission par voie électronique d’une œuvre protégée à une juridiction à titre d’élément de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire entre particuliers ne saurait être qualifiée de communication au public.
En conséquence, l’action fondée sur la contrefaçon se voit rejetée.
Au-delà de la question posée, une précision importante figure en conclusion de cet arrêt, la CJUE en profitant pour réaffirmer que le droit de la propriété intellectuelle ne constitue pas un droit intangible et que, par conséquent, sa protection n’a pas à être assurée de manière absolue, dès lors qu’il convient de mettre ce droit en balance avec d’autres droits fondamentaux, en l’occurrence le droit à un recours effectif.
Vianney DESSENNE