Jackpot aussi pour celui qui trouve un ticket gagnant de l’Euro Millions sur le trottoir

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

Source : Cour administrative d’appel de Paris, 9ème chambre, 27 juin 2019, n° 18PA02470, Inédit au recueil Lebon

 

Les faits

 

Madame A s’est présentée à la Française des Jeux avec un reçu d’une combinaison gagnante de premier rang au jeu de l’Euro Millions au tirage du soir du 13 septembre 2011, pour un montant de 163 049 488,40 euros. Elle a indiqué aux représentants de la Française des Jeux avoir trouvé ce reçu sur la voie publique.

 

Le joueur effectif s’est également rendu à la Française des Jeux quelques jours plus tard, en indiquant avoir égaré le reçu et en fournissant toutes les précisions et justifications de nature à établir qu’il était l’acheteur du billet.

 

La Française des Jeux leur ayant indiqué qu’elle ne verserait le gain à l’une ou l’autre des parties qu’au vu d’un accord entre elles, les intéressés ont alors conclu, le 5 octobre 2011, un protocole transactionnel aux termes duquel Madame A a renoncé « à revendiquer son droit au gain » ainsi qu’à la possession du reçu et permis sa remise au joueur effectif afin qu’il puisse percevoir son gain comme l’exige l’article 11.3 du règlement de l’Euro Millions qui prévoit que le paiement du gain ne peut être remis qu’au joueur, exclusivement contre remise du reçu intact. Madame A a perçu en contrepartie une indemnité forfaitaire et transactionnelle d’un montant de 12 000 000 d’euros.

 

A la suite d’un examen de leur situation fiscale personnelle, les époux A ont été assujettis au titre de l’année 2011, selon la procédure de rectification contradictoire, à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi qu’à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus résultant de la taxation entre leurs mains, sur le fondement de l’article 150 UA du code général des impôts, de la somme de 12 000 000 d’euros au titre d’une plus-value de cession d’un bien meuble ou de droits relatifs à ce bien.

 

L’administration fiscale a imposé l’indemnité litigieuse sur le fondement des dispositions de l’article 150 UA du Code général des impôts, au motif que Madame A avait « cédé à titre onéreux son ticket et les droits s’y rattachant ».

 

Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris le 19 avril 2018 accord aux époux A la décharge de ces impositions. Le ministre de l’action et des comptes publics relève appel de ce jugement.

 

La position de la Cour administrative d’appel de Paris

 

La Cour rappelle les dispositions de l’article 150 UA du Code général des impôts :

 

« I.-Sous réserve des dispositions de l’article 150 VI et de celles qui sont propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices agricoles et aux bénéfices non commerciaux, les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de biens meubles ou de droits relatifs à ces biens, par des personnes physiques, domiciliées en France au sens de l’article 4 B, ou des sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 quinquies dont le siège est situé en France, sont passibles de l’impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH »

 

Puis, celles de l’article 2255 du Code civil :

 

« La possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ».

 

Et enfin, certaines dispositions du règlement du jeu de l’Euro Millions pris en application du décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978 :

 

« Les reçus qui sont remis aux joueurs après enregistrement conformément à l’article 6 restent la propriété de la Française des Jeux » (article 4.7)

« La possession d’un reçu émis conformément à l’article 4, ainsi que l’enregistrement et le scellement informatique des informations mentionnées sur le reçu de jeu, sont des conditions substantielles à la formation du contrat entre le joueur et La Française des Jeux » (article 6.2.1)

 

L’administration s’est fondée sur les dispositions de l’article 150 UA du Code général des impôts pour imposer Madame A.

 

Toutefois, la Cour administrative d’appel relève que les dispositions de l’article 4.7 du règlement du jeu de l’Euro Millions s’opposent à ce que Madame A soit regardée comme la propriétaire du reçu (reçu demeure la propriété de la Française des Jeux).

 

De même, les dispositions de l’article 2276 du Code civil ne peuvent pas non plus s’appliquer à l’intéressée dès lors que le joueur effectif a immédiatement revendiqué le reçu.

 

Si l’administration soutient que Madame A a cédé au joueur non pas le reçu lui-même mais un droit attaché au reçu, consistant en « la possession du reçu gagnant », laquelle constitue, avec la qualité de joueur, « l’un des deux éléments substantiels des droits aux gains », la possession d’un bien, définie par les dispositions précitées de l’article 2255 du code civil, n’est pas une prérogative juridique mais un pouvoir de fait sur ce bien.

 

Il s’ensuit que l’acte par lequel une personne renonce à la possession d’un bien ne peut s’analyser comme la cession du bien.

 

La Cour administrative d’appel en déduit que l’accord transactionnel n’a pas le caractère d’un acte par lequel Madame A a cédé à titre onéreux le reçu ou des droits attachés au reçu. Dès lors, l’administration fiscale ne peut pas imposer l’indemnité litigieuse dans la catégorie des plus-values mobilières sur le fondement des dispositions de l’article 150 UA du Code général des impôts.

 

En réalité, l’indemnité versée par le joueur à Madame A rémunère, selon les termes du protocole, un service consistant, pour Madame A, à restituer le reçu afin que le joueur puisse encaisser le gain et à renoncer à toute action ultérieure en revendication du gain ou du ticket gagnant.

 

A titre subsidiaire, l’administration fiscale soutient qu’une telle rémunération entre dans le champ de l’article 92 du Code général des impôts et demande que les impositions litigieuses soient maintenues, par voie de substitution de base légale, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

 

La Cour rejette cette demande dès lors que le profit en cause, s’il est isolé, n’est pas, par nature, susceptible de se renouveler.

 

En conséquence, la Cour confirme le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris prononçant la décharge des impositions en litige.

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