Faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise

Patricia VIANE CAUVAIN
Patricia VIANE CAUVAIN - Avocat

Source : Cass. Soc. 4 novembre 2020 n°18-23.029 à 18-23.033

 

En l’espèce, des salariés de la société Pages Jaunes ont été licenciés pour motif économique après avoir refusé la modification de leur contrat de travail, et sollicitent devant la Juridiction Prud’homale, la condamnation de l’employeur au paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

 

Le licenciement est motivé par la nécessaire réorganisation de l’entreprise de sorte de sauvegarder sa compétitivité.

 

La Cour d’Appel fait droit à leurs demandes, après avoir retenu que :

 

– Pages Jaunes est une filiale d’une entreprise, laquelle en a fait l’acquisition, moyennant une opération dite LBO.

 

– La filiale a pris des décisions permettant de nourrir les besoins de la holding

 

– Et de fait, les ressources de Pages Jaunes n’ont pas été affectées au financement de nécessaires et incontournables investissements stratégiques.

 

La Cour d’Appel a considéré que le péril encouru par la compétitivité de l’entreprise au moment de la mise en œuvre de la procédure de licenciement n’est pas dissociable de la faute de la société Pages Jaunes, caractérisée par des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant et limitant les investissements nécessaires.

 

La Cour de Cassation a censuré la Cour d’Appel, la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise n’étant pas suffisamment caractérisée.

 

La Cour de Cassation a publié une note explicative dans le prolongement de cet arrêt rappelant :

 

– S’agissant du motif économique, qu’il appartient au juge de vérifier que la réorganisation de l’entreprise est nécessaire afin de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.

 

– Qu’il n’appartient pas au juge de se prononcer sur les choix de gestion de l’employeur.

 

Les juges ne peuvent substituer leur appréciation à celle de l’employeur quant au choix effectué dans la mise en œuvre de la réorganisation.

 

Elle admet cependant ici la possibilité pour les juges de retenir la faute de l’employeur à l’occasion d’un licenciement motivé par la réorganisation de l’entreprise ; toutefois, cette faute doit être caractérisée.
Était visé par la Haute Cour l’article L1233-3 du Code du Travail dans sa rédaction antérieure à la Loi n°2016-1088 du 8 août 2016 qui a défini plus précisément les difficultés économiques susceptibles de justifier un licenciement.

 

La réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité et la cessation d’activité, issues d’une construction jurisprudentielle ont été consacrées par la Loi du 8 août 2016.

 

La Haute Cour a déjà admis par le passé que la faute de l’employeur ou la légèreté blâmable, pouvait rendre le licenciement pour motif économique sans cause réelle ni sérieuse : ainsi s’agissant d’une cessation complète d’activité .

 

Elle retient cependant que les premiers juges n’ont pas à contrôler le choix effectué par l’employeur de supprimer une catégorie particulière de poste , le fait de choisir un site plutôt que tel autre .

 

Elle a jugé en 2018 qu’une société mère coupable d’avoir appauvri ses filiales françaises par d’importantes remontées de dividendes pour les distribuer au groupe dont elle dépendait doit être condamnée.

 

Du fait de cette opération, la société dont l’activité était orientée vers ses filiales, s’était elle-même mise en difficultés financières .

 

En ce faisant, la Cour de Cassation a bien constaté qu’une remontée de dividendes aux proportions manifestement anormales de la part de sociétés filiales françaises, compte tenu de la marge d’autofinancement nécessaire aux sociétés a provoqué leurs difficultés financières et par voie de conséquence, celles de la société mère dont l’activité était exclusivement orientée vers les filiales.
En l’occurrence, le licenciement économique était motivé par les difficultés économiques de l’employeur.

 

La Cour de Cassation admet pour la première fois en l’espèce qu’une faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est susceptible de priver de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé.

 

Ici, la Cour de Cassation censure la décision de la Cour d’Appel en ce que la faute est insuffisamment caractérisée.

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