Exercice du droit d’alerte

Patricia VIANE CAUVAIN
Patricia VIANE CAUVAIN - Avocat

Source : Cour de Cassation Soc 7/7/2021 n° 19-25754

 

En l’occurrence, un salarié directeur de service d’une association spécialisée dans la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes, dénonce auprès de l’organe de tutelle de l’association, des faits susceptibles d’être poursuivis pénalement.

 

Cette dénonciation est opérée peu de temps après la convocation du salarié à un entretien préalable à son licenciement, notifié pour insuffisance professionnelle liée à un manque de dialogue, une attitude d’opposition systématique, une incapacité à animer la politique générale de l’association ….

 

Le salarié qui revendique le statut de lanceur d’alerte, sollicite la nullité de son licenciement devant le juridiction prud’homale ; il plaide que son licenciement a été motivé par la dénonciation des faits fautifs rapportée auprès de l’employeur.

 

Il est débouté de sa demande de prononcé de la nullité de son licenciement qui est toutefois reconnu sans cause réelle et sérieuse.

 

Les juges du fond ont considéré que la lettre dénonçant les faits est postérieure à la convocation du salarié à un entretien préalable  et que la concomitance des deux circonstances ne peut à elle seule établir le détournement de procédure allégué.

 

Le salarié invoque devant la Cour de Cassation une atteinte à la liberté d’expression et en particulier au droit du salarié de signaler des actes ou conduites illicites qui devait conduire à prononcer la nullité du licenciement, et par ailleurs la concomitance entre la dénonciation et le licenciement.

 

La Cour d’Appel aurait dû selon lui rechercher si l’employeur n’avait pas été informé de la dénonciation avant la convocation du salarié à l’entretien préalable.

 

La Cour de Cassation, censure la décision de la Cour d’Appel au visa de l’article 10 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à la liberté d’expression.

 

Elle juge que la Cour d’Appel aurait dû rechercher si le salarié présentait des éléments permettant de présumer qu’il avait relaté ou témoigné de bonne foi des faits qui seraient de nature à caractériser des infractions pénales et si l’employeur de son côté rapportait la preuve que le licenciement était justifié par des éléments objectifs  étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé.

 

La Cour Européenne des droits de l’homme a jugé que les sanctions prises à l’encontre de salariés dénonçant des conduites illicites constituaient une atteinte à leur liberté d’expression, sur le fondement de l’article 10 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

La Cour de Cassation a décidé à plusieurs reprises que le salarié qui dénonce de bonne foi des faits pouvant être qualifiés de délictueux ne pouvait être sanctionné à ce titre et ce également sur le fondement de l’article 10 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme.

 

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement de ces décisions.

 

L’article L 1132-3-3 du Code du Travail  issu de la loi 2013-1117 du 6 décembre 2013 qui n’était pas applicable en l’espèce, les faits étant antérieurs, a constitué une première étape de la protection des lanceurs d’alerte en édictant « qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement…, être sanctionnée ou licenciée pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».

 

Les règles de preuve en cas de litige s’inspirent de celles adoptées en matière de discrimination ou de harcèlement moral.

 

En cas de litige, la personne présente des éléments permettant de présumer qu’elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime.

 

L’employeur doit alors prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé.

 

La loi Sapin 2  a complété l’article L 1132-3-3 du code du Travail, et défini le lanceur d’alerte.

 

Est lanceur d’alerte « une personne physique qui révèle ou signale de manière désintéressée et de bonne foi un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international ratifié ou approuvé par la France…, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale… ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

 

La Cour de Cassation  par un arrêt en date du 8/7/2020 [1],  après avoir rappelé qu’un salarié ne peut pas être licencié pour avoir dénoncé de bonne foi des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, a donné des précisions sur la notion de mauvaise foi : « la mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».

 

[1] Cass Soc 8/7/2020 n° 18-13593

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