Source : CE 27 mars 2020 n°435277
A titre liminaire, rappelons que les dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative prévoient que :
« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. »
Il résulte de ces dispositions que le délai de recours contentieux de deux mois court à compter de la date de notification ou de publication de l’acte administratif.
Si ces dispositions sont tout à fait intelligibles, une question se pose toutefois :
Laquelle des deux dates doit être prise en compte pour le calcul des délais de recours lorsque l’acte en litige a été publié deux fois ?
C’est à cette question que le Conseil d’Etat a récemment répondu et c’est à l’occasion de l’affaire ci-après explicitée qu’il a décidé d’opérer un revirement de jurisprudence.
Le préfet de Guadeloupe avait décidé, par arrêté en date du 6 avril 2019, d’interdire la circulation sur une route forestière d’une commune.
Cet arrêté avait été publié le 8 avril 2019 dans le recueil des actes administratifs de la préfecture, lequel pour rappel, est accessible en ligne, sur le site internet de la préfecture et à ce titre consultable par les administrés.
L’affichage en mairie a quant à lui été fait le 29 avril 2019.
Le 18 juin 2019, un syndicat agricole avait demandé au préfet son annulation.
Faute d’avoir obtenu gain de cause, le syndicat avait, par une requête en référé enregistrée le 13 août 2019, demandé au tribunal administratif d’en suspendre l’exécution.
Jusqu’à la présente décision, le Conseil d’Etat prenait toujours en compte la plus tardive des publications pour statuer sur la recevabilité des requêtes (CE, 18 février 1976, n°96293)
En application de cette jurisprudence constante, c’est donc bien l’affichage en mairie qui aurait dû prévaloir.
Pourtant, ce n’est pas ce qu’a jugé la Haute juridiction en l’espèce.
Le Conseil d’Etat a en effet décidé d’opérer un revirement de jurisprudence en décidant que la date de publication au recueil des actes administratifs sur le site internet de la préfecture, dans des conditions garantissant la fiabilité et la date de la mise en ligne de tout nouvel acte, est celle qui doit être prise en compte pour le calcul des délais de recours.
La circonstance que l’arrêté ait ensuite été affiché en mairie importe donc peu.
Désormais, c’est donc bien la première publication qui compte.
Dans ces conditions, le syndicat requérant était donc forclos.
Si cette décision apparait juridiquement cohérente, elle met toutefois à mal le droit au recours des justiciables.
En effet, si nul n’est censé ignorer la loi, la question de l’accès au droit est à notre sens mise à mal.
Cette décision est plus que contestable en ce qu’elle fait naitre les questions essentielles suivantes :
1) Les administrés, novices en matière de droit public, savent-ils que les arrêtés sont publiés dans un recueil des actes administratifs accessible sur Internet ?
La réponse est assurément négative.
2) Un administré n’ayant malheureusement pas accès aux technologies de l’Internet sera-t-il excusé de n’avoir pu prendre connaissance de la publication de l’acte qu’il conteste ?
La réponse est assurément négative.
Faute de savoir et faute de pouvoir, le couperet tombera donc quand même…