Constructions irrégulières et demande en démolition : Contrôle de proportionnalité opéré par la Cour de cassation au nom du droit à la vie privée et familiale

Johanna HENOCQ
Johanna HENOCQ

Source : Cass 3èmeciv, 16 janvier 2020 n°19-10.375 FS – P + B + I

 

Article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme

 

La propriétaire d’une parcelle classée en zone naturelle par le plan local d’urbanisme avait sur cette dernière irrégulièrement fait procédé à divers aménagements et notamment un chalet à usage d’habitation.

 

Il sera à ce stade souligné que les zones naturelles ont pour objectif de préserver la qualité de l’espace concerné, et de limiter toutes les exploitations possibles. Dès lors les règles de constructibilité y sont limitées.

 

Il est pourtant possible de contourner cette règle par l’implantation de constructions temporaires type mobil-homes et chalets.

 

C’est bien ce qu’avait tenté de faire la propriétaire.

 

Pourtant, le chalet, compte tenu de son usage d’habitation (pour rappel, superficie supérieure à 20m²), requerrait nécessairement l’obtention d’un permis de construire.

 

Les termes de l’arrêt commenté ne nous permettent pas de savoir si la propriétaire avait sollicité l’autorisation d’urbanisme, laquelle aurait, en tout état de cause, été refusée par la commune compte tenu du zonage urbanistique.

 

En l’absence de permis de construire, la demande en démolition était de fait fondée.

 

La Cour d’appel avait accueilli la demande en jugeant que le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile ne faisait pas obstacle à la protection de l’environnement assurée par des dispositions urbanistiques impératives destinées à préserver l’intérêt public de la commune.

 

Elle précisait que les mesures de démolition et d’expulsion étaient proportionnées au droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile de l’appelante dans la mesure où ces mesures ne concernaient que les constructions à usage d’habitation irrégulièrement implantées et non l’ensemble de la parcelle puisque l’appelante en était propriétaire.

 

C’est dans ce contexte que cette dernière s’est pourvue en Cassation.

 

Elle soutenait qu’il appartient au juge, en matière de violation d’une règle d’urbanisme, d’apprécier concrètement si une mesure de remise en état, impliquant l’expulsion d’une famille et la destruction de son logement, porterait ou non une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale.

 

Au visa de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, lequel consacre le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et la correspondance, la Cour de cassation a accueilli le pourvoi, jugeant qu’en se déterminant ainsi, par un motif inopérant tiré de ce que la mesure d’expulsion ne concernerait que les constructions à usage d’habitation, sans rechercher concrètement si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale.

 

Cette décision se situe dans le prolongement de l’assouplissement du régime des démolitions introduit par la loi n°015-990 du 6 août 2015 dite « Loi Macron », et plus précisément l’article 480-13 1° du code de l’urbanisme qui limite déjà les hypothèses de démolition des constructions édifiées cette fois sur la base d’un permis de construire illégal.

 

Par ailleurs il sera souligné que la présente décision rendue par la 3ème chambre civile en matière d’urbanisme est plus souple que celle rendue par la même chambre le 21 décembre 2017 (n°16-25406) en matière d’empiètement illégal.

 

En effet et dans cette espèce, la Cour de Cassation avait jugé qu’un empiètement même minime sur la parcelle voisine entrainait de facto et au nom du droit de propriété consacré par la CEDH, la démolition de l’ouvrage litigieux sans aucune exigence de contrôle de proportionnalité.

 

Cette différence d’analyse par la 3ème chambre civile est somme toute cohérente au regard de la hiérarchie des normes.

 

Le droit de propriété est en effet garanti et protégé par la CEDH, excluant ainsi tout contrôle de proportionnalité entre le respect de ce droit et les conséquences qu’il entraine pour le voisin fautif.

 

Tel n’est pas le cas des règles urbanistiques, qui n’ont qu’une simple valeur règlementaire.

 

Le pétitionnaire ayant implanté des ouvrages en méconnaissance des dispositions du PLU bénéficie donc d’un contrôle de proportionnalité permettant, le cas échéant, d’éviter toute démolition.

 

Tandis que l’empiéteur fautif, lui, se verra ordonner la démolition sans aucun contrôle de proportionnalité.

 

In fine, il est donc moins dangereux d’implanter des ouvrages en méconnaissance des règles d’urbanisme qu’en méconnaissance du droit de propriété…

 

Se pose enfin la question suivante :

 

La décision de la Cour de cassation aurait-elle été similaire si la construction n’avait pas été à usage d’habitation ?

 

En d’autres termes, la Cour aurait-elle fait usage du contrôle de proportionnalité pour une construction, par exemple, de nature industrielle et commerciale et ce, au nom de la liberté du commerce et de l’industrie, pour rappel garantie par la Constitution et par le droit de l’Union européenne ?

 

Si tel n’est pas le cas, les droits fondamentaux n’auraient donc pas tous la même valeur.

 

Nul doute que cet arrêt, à fort intérêt jurisprudentiel et doctrinal, fasse couler beaucoup d’encre.

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Vivaldi Avocats